Au-dessus du tas, quatre chaises, fraîchement débarquées, leurs pieds retournés invoquant l’assistance d’un ciel nuageux qui ne peut rien pour elles, des planches arrachées au squelette de leur meuble d’origine, griffées, éraflées, des vis éparses transperçant leurs veines, une carcasse d’ordinateur, la carte mère à l’air, une machine à coudre, deux cadres jumeaux dont les vitres ont explosé et font kaléidoscope, des vêtements tombés d’un sac poubelle éventré, une chemise encore pliée, une robe qui a dû être belle, de la layette, une poupée démembrée, un ours en peluche à qui il manque un œil et une patte, un fauteuil de velours rouge, trône d’un roi déchu, d’une reine désavouée, une roue de fauteuil roulant, des sacs qui protègent leur contenu comme si le garder à l’abri des regards pouvait empêcher le passage annoncé du grand broyeur, une télé comme on n’en fait plus, cubique, lourde, une télé de nos parents, échouée à proximité, la table à roulettes qui lui a servi de support, elle n’est pas abîmée, juste en hors-champ du monde, sur son plateau inférieur, dans un intérieur bien tenu, un magnétoscope peut-être, ou un bouquet d’immortelles, dans les couches plus profondes, on aperçoit quelques abat-jour, les armatures pliées par la pression qu’elles ont subie, des disques vinyles, les pochettes sont ailleurs, une essoreuse à salade, un oreiller, des chutes de grillage, un minuscule coffret à bijoux qui pleure ses dorures, ensevelie sous la charge de ces instant humains voués à l’élimination, un chevet dont le tiroir contient la lettre que finalement on n’a pas relue. Les regrets quant eux sont happés au vol, au fur et à mesure qu’ils s’ajoutent au grand déballage.
dites de ne pas me regarder, je prends mon crochet, j’embauche quelques bras et viens fouiller
(sérieusement bravo pour l’évocation de chaque objet)
Elle a toujours raison, Brigitte, l’évocation est superbe. Un parmi mes coups de coeur, la table à roulettes, hors champ du monde et ce qu’il y aurait eu sur la tablette en dessous, le chevet, les regrets… Merci, très beau.