Sols 1
Au début, les sols furent foulés au pied nu, le talc roux des sentiers du jardin, ceux des tièdes aiguilles de pin, les galets ronds de la plage, la passerelle grise de bois flotté doux aux pieds, qui menait à la mer, le sable blond qui caresse entre les orteils et les charbons ardents du sable noir qui nous faisait piailler et sautiller jusqu’au refuge de la mer, y plongeant nos pieds brûlés, aussi les pierres grises et plates des rochers où l’on courait, bondissait comme cabri et débusquait les crabes en les cueillant par-derrière, enfouir son pied dans l’herbe verte avec ces feux d’artifice, ces bouquets vivants de criquets multicolores qui jaillissaient sous nos pas, ces courts chemins de gravier qu’on affrontait et affronte toujours, par témérité, ou paresse d’aller chercher ses souliers, et qui tout en vous lardant les pieds, sont seuls à vous donner encore des délicieuses décharges dans le ventre, la boue chaude et douce de l’orage d’été où enfoncer ses orteils en éventail, l’escalier de marbre frais, monté quatre à quatre pour aller souper il y a longtemps, les tapis rouges de l’Orient dont on ne se rappelle que la douceur du fil, les sols cirés qui sentent l’abeille, sur lesquels on patinait en chaussettes jusqu’aux longues échardes qu’il fallait extraire de la plante du pied avec un aiguille chauffée à blanc et une pince à épiler.
Sols 2
Le sol glacé qui nous fait glisser, le sol enneigé qui gémit sous la botte, le sol caillouteux de montagne qui nous fait douter où poser le pied, le sol dallé où l’on a tous sauté à cloche pied, le sol goudronné qui sent bon mais colle et laisse des traces à la chaussure, le parquet marqueté où l’on voudrait danser si on savait, le sol en lino chez les autres, le sol en marbre des maisons d’Italie, le sol de terre battue, irrégulier, des caves qui sent l’eau souterraine, l‘alcool, la pomme et la pisse de rats, le sol sacré des cryptes, le sol qui vous manque soudain quand vous tombez sur trois mètres, de nuit, dans une fosse que vous n’aviez pas vue, le sol herbeux et pentu des collines qu’on dévalait en toute confiance, à l’horizontale, les yeux fermés en roulant sur nous-mêmes, le sol qui vous cognait si fort quand on tombait du cerisier, le sol qui fleure l’ozone après l’orage, le bitume chaud et mouillé après la pluie et, à la descente d’avion, le parfum du sol corse qui vous cueille au printemps.
ah finir sur le parfum de la Corse (mais on le sent tout autant en approchant en bateau, du moins on le dit et tant que je ne sais pas si le très lointain souvenir que j’en ai ne me viens pas surtout des mots entendus)
oui ! c’est la marque de la légende…mais à l’aéroport ce jour-là, il y était le parfum ¨
j’ai senti tous ces sols sous la plante de mes pieds…