Hypothèse 1
« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. » Il voulait voir Ostende sous la pluie, il voulait voir la mer, seul, la mer vague et grise, il l’attendit sur la promenade, elle vint de loin, de rien, par vagues lisses, sous la pluie silencieuse, elle vint jusqu’à lui, tandis que la pluie ruisselait sur son corps, délavait sa vie, s’écoulait en fines rigoles jusqu’à la vague, la mer l’emporta et s’effaça devant lui, le laissant nu sur la plage. Il naît sur cette plage, à Ostende, il a dix-sept ans et ne se souvient plus de rien sauf de cette nuée d’or qu’il serre dans son poing.
Hypothèse 2
Il a rassemblé toute sa vie, dix-sept années qu’il a enfermées dans ce bagage, un simple sac de voyage, puis il a pris le train, le premier qu’il a pu, gare du Nord, le train l’emmenait en Flandre, il traversa les plaines anthracite, sur la vitre embuée, de son doigt, il dessina de frêles étoiles qui coulèrent comme de petites larmes. À Anvers, sous le dôme, il aperçut une consigne, il y mit toute sa vie, jeta la clé, il ne se souvient plus de rien, il regarde l’étrange palais d’or et de verre où il naît prince de sang.
Hypothèse 3
Il n’est jamais né, jamais. Il n’a pas vécu. Il n’existe pas. Il est inventé et les inventions ne se souviennent pas. Il pourrait avoir existé, il pourrait avoir vécu, cette vie-là ou une autre. Il ne sait pas, il ne sait rien. Il attend quelque part en Flandre, il attend de naître, peut-être à Bruges ou Gand, il est fils de chimères. Il voit des tableaux de Klimt, des louis d’or, des contes, des légendes. « Le monde est grand, dit gravement Zénon. Plaise à Celui qui Est peut-être de dilater le cœur humain à la mesure de toute la vie. »
Hypothèse 4
Il n’est plus qu’un vague souvenir, une impression, une silhouette qui s’efface. Il est vieux, dort peu et ce matin par la baie de son atelier, il regarde la brume qui embue les cendres de sa nuit. À minuit, il a vu les étoiles et reconnut dans leur manège une nuée d’or qui l’émut, sur la route de Flandre, lorsqu’il avait dix-sept ans. Il a peint un aplat bleu, bleu de Prusse, sur lequel il a dispersé des poussières d’or. Dans la nuit, il a joui de ce flamboyant mystère, il a pensé aux longs manteaux de Klimt puis s’est assoupi. La nuit fut longue et blanche, il ne souvient plus de rien de rien.
Citation n°1 Arthur Rimbaud
Citation n°2 Marguerite Yourcenar, l’Oeuvre au noir
J’adore !
Merci Chantal !
Chacune de vos hypothèses me donne envie d’en lire plus, comme lire une quatrième de couverture et foncer vers la page 1. Merci
C’est moi qui vous remercie pour votre lecture et vos encouragements.