Elle pousse la porte et descend de la voiture. Elle sent l’odeur de l’eau. Maman dit que ce n’est pas possible, qu’il n’y a pas d’eau ici ou alors juste un petit ruisseau, « un ruisseau de rien du tout à dix kilomètres au moins », alors de là à sentir l’eau ici… « Il faut toujours que tu exagères… »
Mais maman se trompe, maman se trompe souvent.
Ses chaussures s’enfoncent dans le sol boueux. Elle voit une bouteille en verre cassée plus loin, des restes de planches que quelqu’un a brûlées. On a fait du feu, des gens sont venus ici, des gens se sont installés chez eux. Elle n’aime pas que l’on vienne sur ce terrain, son terrain, ce terrain où elle s’ennuie, mais où elle ne veut quand même pas que d’autres qu’eux viennent.
Elle regarde la maison, rien n’a changé. Les volets sont de ce marron sale qu’elle trouve si triste. La porte en bois est lourde à ouvrir. Les fleurs sont fanées sur pied. L’été, les fleurs sont… L’été, les fleurs sont extraordinaires ! Hautes, d’un beau rose clair. Elles balancent au souffle du vent et quand on écarte les feuilles du bas, les plus sombres, les plus épaisses, quand on se penche un peu, alors on voit des limaçons qui s’affairent, contournent une brindille, un caillou, une fleur en bouton puis se coulent sous une pierre plus humide ou plus douce, s’y lovent. Un petit peuple habite ici. Elle le connaît, il la connaît.
Elle sent les autres qui passent derrière elle. Ils se dépêchent, il y a tant à faire, encore : il faut vider la voiture, ouvrir la maison, l’aérer, préparer le feu, faire les lits et après on… Elle ne bouge pas. Elle voudrait repartir, rentrer à la maison, pas celle-là, leur vraie maison, à Paris, avec sa chambre, la connexion Internet qui va bien, ses chaussons à paillettes bleues qu’elle a oubliés et Blandine, Blandine qui habite à deux rues de chez eux et qui est restée là-bas. Eux ne pouvaient pas rester, maman lui a expliqué cent fois avant de partir, « je te l’ai expliqué cent fois mon chaton, c’est difficile de rester à Paris pendant le confinement, tu comprends ?… Crois-moi, on sera vraiment mieux là-bas ! »
Et on va rester longtemps, là-bas ?
« Le temps qu’il faut, ne t’inquiète pas, ça va vite passer. »
Elle entre dans la maison. La maison aussi sent l’eau, une odeur un peu différente, plus fumée, mais une odeur d’eau quand même. Bien sûr, elle ne le dira à personne, elle ne peut pas, on lui répondrait que c’est n’importe quoi cette odeur d’eau fumée ! Comme si l’eau pouvait sentir la fumée !…
Et pourtant c’est ça, une odeur d’eau un peu fumée.
Elle se glisse sur le côté. Elle les laisse entrer avec les valises, les édredons, les ordinateurs, la malle du chat, le berceau rose de la poupée et le sac qui contenaient les sandwiches qu’ils ont mangés sur l’autoroute (eux, pas elle, elle a donné le sien). « On a tout emporté ? On n’a rien oublié ? » On n’a rien oublié, sauf les chaussons à paillettes bleues.
Quand ils ont tout rentré, elle les regarde s’affairer, rire, se disputer un peu puis pousser des cris parce que le chat vient de sauter par la fenêtre. Vite, il faut le rattraper sinon il va se perdre !
Elle reste dans la maison. Les tomettes sont glacées. Elle garde son manteau.
Il n’y a pas d’Internet d’ici.
Elle se dit que le confinement risque de sembler long, drôlement long, même ; mais c’est quoi, d’abord, le confinement ?
Délicieux, l’arrivée de cette petite… On est bien avec elle, à sa hauteur, dans son humeur…
« l’odeur de l’eau fumée », surtout !
Merci, Béatrice, pour ce commentaire, c’est encourageant. 🙂
Je vais tenter de ne pas prendre de hauteur, alors. 😉
je rêvais à l’eau fumée.. la chute m’a surprise ! 🙂