De Camus, et L’étranger, lorsque soudain on passe des lectures d’enfance aux lectures qui te demandent de penser, et qu’il te semble entrer dans le monde des grands.
De Henry Bauchau dans Antigone, qui, après d’autres, trace le portrait d’une femme prise dans les épreuves, les doutes et la détermination. Un personnage qui est là toujours derrière moi.
De Clarice Lispector et son cafard qui obsède et cogne aux tempes longtemps après la lecture de La passion selon G.H. au sein de phrases qui semblent toujours chercher encore plus loin et prennent le risque de se perdre.
D’ Antoine Emaz, avec Plaie où se dit toute la douleur de la perte de la mère et l’écho qui résonne en soi, et les mots suivent ou vont devant.
De la Bible en hébreu, et chercher à traduire, creuser tous les possibles, jamais figés, en perpétuel mouvement, et vouloir se perdre dans les mots et leur amphibologie.
D’Alejandra Pizarnik pour les mots de ses poèmes qui vont là où je suis et m’emportent sur son bateau, pour cette présence d’une voix qui me parle toujours.
De Sylvia Plath ce premier vers de La traversée: Les horizons m’encerclent comme des fagots, ce vers qui me réchauffe et me précède, puis les lavis bleus de l’aube qui ouvrent les yeux sur un monde.
De Virginia Woolf et ses Vagues dont je ne peux émerger, à lire et relire toujours les mêmes passages, avide de ces instants qui éclosent, vont, viennent et portent plus loin.
De Christine Sagot-Duvauroux Le Buffre, parce que le causse Méjan, parce que regarder puise, parce que cette langue neuve qui râpe, décape et finit par s’insinuer dans la peau, parce que ça grumelle.
De Gustave Roux et son Essai pour un paradis, pour sa mélodie, les visions offertes, les doux regards posés sur les moissons, pour cette voix basse qui n’en finit pas de murmurer à mon oreille.
De Pierre Cendors dans L’Enigmaire, pour quelqu’un qui arrive quelque part, pour être le déserteur de soi-même, pour se dessiller les yeux et pour l’esprit du lieu.
De Duras où Ecrire . Dans son dedans de maison où écrire. Dans sa chambre aux armoires bleues où écrire. Dans cette solitude où écrire. Dans cette solitude qui te fait.
(J’avance avec de l’ombre sur les épaules: André du Bouchet)
Et se dire qu’il en manque tellement dans cette liste: Jacques Ancet( Quelque chose comme un cri); Pierre Bergounioux (La maison rose), Jean-Christophe Bailly ( Le dépaysement); Jacques Borel (L’adoration): Lionel Bourg ( tous ses livres); Anne-James Chaton ( Elle regarde passer les gens); Hélène Cixous ( Homère est morte); Philippe Jaccottet ( les Semaisons); Charlotte Brontë ( Jane Eyre); Annie Ernaux ( tous ses livres); Pierre Michon ( Les vies minuscules);Pascal Quignard ( Les ombres errantes); Yoko Ogawa ( Le musée du silence) et Georges Simenon bien sûr ( Maigret)…
et plus on y pense, et plus il en manque… (merci pour tout)
C’est exactement ce que je ressens : L’étranger comme entrée dans le monde des grands, intéressant de voir que presque tous les participants l’ont cité. Merci pour toutes ces envies de lectures partagées.