Elle pose le pied sur la première marche de l’escalier en bois dont une ligne de foulée se dessine sous l’écaille du vernis, dévoilant les montées et les descentes, le passage des pas voilés de fatigue ou tonitruants de légèreté, les cavalcades, les sauts et les frôlements, l’écho des chagrins et des baisers volés, les chutes et les confidences, un escalier reposant sur un mur d’échiffre aux traces claires des tableaux aujourd’hui disparus. Il peut être à montée droite ou circulaire, en colimaçon, balancé ou à la française. Mais à la pénombre de la bâtisse Camille ne suit que le mouvement sinueux des plinthes, laissant son imagination l’emporter à la suite régulière des marches.
Le ruisseau s’écoule entre le jardin et le pré, se divise à l’approche du pont de tôle, encerclant le bois avant de disparaitre sous le mur d’enceinte. Il s’écoule sereinement, pointillé du vert clair des lentilles d’eau aux racines ondulant sous la surface. Par endroit, ce tapis flottant et dense dissimule le lit sableux, attire par sa fraîcheur les belles naïades et l’ombre des grands arbres. S’enracinent contre les berges un herbier aquatique verdoyant, refuge des canards et des crapauds, témoin des piques niques printaniers et des siestes cachées. Ses méandres disparaissent et réapparaissent plus étroits et plus sombre à mesure qu’ils s’enfoncent dans le bois.
Les ponts ont pour but de supprimer les obstacles que les rivières et les ravins opposent à la circulation. Leur origine est donc aussi ancienne que celle de ces obstacles, car, de tout temps, l’homme a cherché le moyen de traverser les rivières d’une manière sûre et permanente, c’est-à-dire sur un pont. (extrait : Histoire d’un pont, par Félix Narjoux). Une tonnelle ombrage le pont voûté, frontière entre le jardin soigné et le pré fantasmagorique. Il semble avoir toujours été là, depuis le jour où l’homme a trouvé le moyen de traverser les cours d’eau d’une manière sûre. On pourrait le traverser à pied, l’eau ne mouillerait que le bas du pantalon. Quelques enjambées, pas au-delà de quatre, et on atteindrait la berge opposée.
Dans le jardin sauvage se mêlent tournesols, roses trémières, campanules légères et légumes indomptés. Entre ombre et lumière il attire les papillons et les hérissons, leur offre son refuge parfumé, loin de l’effervescence de la rue. Rhizomes, bulbes et tubercules circulent sous terre au gré des saisons. Madeleine le dessine, par de rares tailles à l’arrivée de l’automne, il est son refuge comme il est le refuge des oiseaux.
Camille plisse les yeux vers l’horizon. L’océan est proche maintenant. Elle sent l’iode et l’odeur de la dernière pêche du matin. C’est comme un vertige, un retour des années en arrière lorsqu’elle habitait sur l’île avec son grand-père. Elle en ressent une mélancolie voilée par l’éclat du soleil matinal. Par la petite rue du port elle atteint enfin la rue pavée qui borde le quai. Aucunes grues, aucuns engins de manutention, ni hangars servant à l’entreposage des marchandises débarquées des navires, seulement les mouettes qui piaillent et jouent dans le ciel bleu et des bateaux reposant sur la vase. Elle s’assoit à l’aplomb du bassin. Des frissons parcourent ses bras. Elle n’avait pas imaginé qu’il serait si difficile de rentrer. Le large emporte ses pensées au-delà de l’insouciance. Elles s’enfuient ailleurs, vers le lien ténu qui l’attache à l’île. Il l’attend lui répète-t-il lorsqu’elle l’appelle. Il sera toujours là. Bien qu’il prend de l’âge ajoute-t-il en souriant. Elle ferme les yeux et respire intensément pour retenir les larmes. Lorsqu’elle les ouvre, elle découvre qu’elle n’est pas seule.
– Vous auriez pas une p’tite pièce ?
De surprise elle se lève et s’éloigne de quelques pas. Puis elle fouille dans sa poche et tend une pièce à l’homme qui attend.
– Je suis le pirate de ce mètre carré de quai, chantonne-t-il et je vous remercie !
Elle hésite avant de lui demander depuis combien de temps il fait la manche.
– Un an… peut être deux. La nuit je dors en foyer… Tu veux une gorgée ? lui propose-t-il en lui tendant sa canette de bière.
En architecture, une verrière est un vitrage de grande dimension faisant office de toit ou de mur ou bien une grande ouverture parée de vitraux.
à écrire…