Je me souviens d’elle. De sa façon discrète d’attendre le bus. De faire des mouvements de balancier imperceptibles avec son buste ; à la regarder comme ça, un peu tapi dans l’ombre derrière la haie de notre jardin, je me dis qu’elle n’était pas comme nous, que cette cadence pudique et distinguée c’était sa façon à elle de réinventer le temps, de ne jamais subir ou accepter celui des autres, ce temps, justement, auquel je ne voulais pas admettre que j’appartenais, alors que moi, peut-être plus que quiconque, j’étais coincé, foutu pour ainsi dire, on m’avait enferré pour toujours dans des grands liens de porte, dans un de ces bruits de gond qu’on cherche toujours à faire taire mais qui vous réveille la nuit. Et comme une ritournelle : en finir avec la nuit, se débarrasser de ses contours, de ses fuites, ne pas attendre d’elle une issue ou un territoire à part. Simplement reprendre contact avec le jour, avec les autres, avec la simplicité des sourires ou celle, plus rare, des franches poignées de main. Mais je ne savais pas vivre en silence. J’aimais trop le bruit, la violence des pas sur le bitume, les grandes chevauchées sauvages au milieu des villes, les ruades mécaniques des trains au petit matin. Et puis la mélancolie aussi les jours de pluie, les jours où nous nous disputions parce que je n’avais pas ramassé les miettes sur la table basse ou que le désordre de l’atelier devenait chaque jour plus improbable ; alors je souffrais de notre distance, je ne supportais pas l’écart dans le lien, cette nécessité de gâcher le temps en prolongeant les disputes, de faire de nos détresses des mines de ciel délavé. Et cet espace intolérable, où l’unisson avait fini par s’enliser, à chacun de nos heurts je craignais qu’il ne s’abolisse, qu’il ne s’invite à notre table et que tu fuis juste avant la levée du jour.
Deux très beaux textes pour amorcer arrivées et départs déjà blessés dans leurs impasses si bien décrites.
Merci Helena pour tes mots ! On va tenter de sortir les personnages de leurs impasses et par la même occasion leur auteur qui a bien du mal à ne pas s’embourber dans ses descriptions ! A suivre !
Rétroliens : #L5 Les heures – Tiers Livre, explorations écriture