Il est debout devant l’immense porte. Il cherche à déchiffrer : bois rongé, fresques à la craie, personnages sans bras aux yeux écarquillés, deux manivelles rouillées, un câble coupé, une ouverture pour y glisser l’œil. Tout est noir là-dedans. Contre la porte, des cordes pendent à des crochets. Rouillés aussi, les crochets ; élimées, les cordes ; délabrée, la porte, prête à s’écrouler. Une poignée. Il y porte une main. La porte s’ouvre. Dedans, c’est vide. Il n’y a personne. Il avance lentement. Des rayons de soleil s’insinuent entre les planches de la paroi, éclairant une table en métal, un porte-manteau, un mur de briques. Des gens jadis. Des enfants : un ballon crevé, un vélo sans selle, des dessins sur le sol, mêmes étranges bonshommes que ceux sur la porte, chats à moustaches exagérées, maisons à cheminée fumante, un perroquet, plus précis que les autres dessins, mais s’effaçant, une fleur aussi, belle fleur rouge sans nom. Il lève la tête. C’est gris et c’est plein de toiles d’araignées. Il avance vers la porte du fond, aussi haute que celle de devant. Une fourche y est suspendue. Il ouvre. Le voilà dehors : un tas de bois d’un côté, une charrue de l’autre ; un de ces arbres d’ornement dont le nom lui aussi lui échappe ; un mur, un jardin, une route. De l’autre côté de la route : des moutons. Seule présence vivante. Quatre moutons couchés dans l’herbe.
Il fait demi-tour, entre à nouveau, referme la porte. Le mur de briques comporte des ouvertures refermées par des panneaux de bois. On peut les ouvrir. Il essaie, n’y parvient pas. Une échelle est appuyée au mur. Il grimpe, marche sur un plancher craquant, tente d’en éviter les fissures, pose sa main contre un nouveau mur, lève la tête. Une tuile transparente laisse deviner le ciel, bleu. Plus haut, c’est comme une mezzanine mais sans escalier pour y monter. Escalader la poutre ? Les planches semblent fragiles, il vaut mieux redescendre. Tout est vide ici. Il n’y a rien. L’échelle tremble un peu. Il est content de retrouver la dure dalle de béton et se décide à ressortir par la première porte. Une piscine sans eau, nouvelle ruine d’enfances passées ici voilà fort longtemps, un hangar, un pneu de tracteur couché rempli de sable, une fontaine où l’eau coule à flots ininterrompus. Le son régulier de l’eau se déversant dans le grand puis dans le petit bassin n’est accompagné que par les bêlements des moutons de l’autre côté de la route. Il n’y a personne.
Pour ma part, j’enlèverai le Pourtant tout à la fin. 🙂
Je me suis posé la question au moment de publier le texte. Je l’enlèverai peut-être, ça dépend de la suite, sur laquelle je commence à cogiter. Merci pour la remarque.
la porte du mystère s’ouvrira-t-elle ?
Je l’espère.
Une vraie maison de conte où chaque élément est, selon le regard, accueillant et/ou effrayant !
Merci pour ce commentaire éclairant. Je n’avais pas pensé à un conte en écrivant ce texte, basé sur une maison réelle, mais en effet il peut y avoir quelque chose de fantastique ou de merveilleux dans cette maison, que je vais m’empresser d’exploiter dans la suite du texte.
Oui moi aussi, une impression de conte, mi magique mi fantastique, merci pour ce début de frisson !
Merci Sophie, même si cette maison est bien réelle. Mi magique mi fantastique, voilà de quoi m’inspirer pour la suite.
Etonnant porte à porte. Comme une drôle d’impression de circulation et de culs de sac, de mouvement et de stagnation. Labyrinthe ? J’y vois aussi le travail de l’auteur qui cherche une porte à ouvrir, recule, part dans une autre direction, comme une prise de marques dans un environnement connu et étranger, un état des lieux, un inventaire. Surprenante enfin cette mention des moutons comme seule trace de vie quand tous les objets en fait nous parlent d’une vie, de plusieurs vies entreposées, mêlées, (oubliées?) là.
Merci Eva, j’aime beaucoup l’idée de voir dans ce personnage égaré le travail de l’auteur, comme une sorte de double. Voilà de nouvelles portes qui s’ouvrent.