Longtemps il y a eu un corps
Longtemps il y a eu l’image
Et c’était séparé
C’était comme un cheval à la tête arrachée et qui continue d’avancer
Un demi-trait.
Je me tenais principalement parmi les déchirures
Dans le cercle des peaux déchiquetées
Au bord du noir de l’horreur
Mais je me tenais aussi dans les jambes, 4, l’échine souple, la croupe, le fouet de la queue
Je n’étais pas dans la tête et le cou absents
Dans la merveille des yeux noirs, de la bouche douce, des oreilles soyeuses et intelligentes, je n’étais pas
Mais dans les sabots, les 4 sabots séparés, la corne rugueuse, l’ongle, si
(Les fers, eux, absents
Tous fers absents
Comme tous feux éteints).
C’est ainsi que je dirais après coup la séparation du corps et de l’image. Je vois que c’était comme ça. Et d’inconfort je roulais sur moi-même dans les rues en pente de l’enfance et aux pieds des foules adolescentes dans les parties, les fêtes, ne suscitant jamais qu’indifférence
C’était au commencement il y a longtemps, c’est sans souvenir puisque ça ne trouve ses mots qu’aujourd’hui
Il devait bien y avoir un sexe quelque part dans la masse susdite, l’animal extraordinaire, quelque part pas à sa place, je parie, qui naviguait qui s’échappait dans les replis de ce corps mouvant.
et qu’on ne s’étonnât pas que je fisse montre de quelque exaspération.
on s’étonnait cependant.
je ruais.
Dans la rue, je ruais.
(Voilà son nom : Delarue)
Personne n’a vraiment envie de savoir comment réellement ça se vivait, ladite séparation du corps et de l’image. Personne n’en n’a envie parce que personne n’en n’a la moindre idée. Et c’est cette moindre idée qui m’intéresse.
C’est pourquoi je me demande si je ne pourrais pas encore parler de certains aléas que vécut ce grand corps blessé. Mais je ne le ferai pas, je sens que je dois dire autre chose, sans encore savoir quoi.
Le corps tel qu’il est connu aujourd’hui mit du temps à se faire. On l’aura compris.
Ce corps qui était seul pourtant ne l’était pas, la terre est finalement parsemée de corps fort semblables. C’est là que s’insère l’image : je vois des tas de corps qui me voient sans jamais me voir comme je les vois ni comme il me voient. Alors que de ce corps même me parvient une foultitude d’informations non-informées dont nul ne sait rien, n’imagine rien, si ce n’est au départ de ce qu’il vit de son propre corps.
On peut dire que le corps était grand. Comme tu es grande. Dira-t-on qu’il était joli. On ne le dira pas puisqu’elle ne l’a jamais cru, pas faute qu’on le lui ait répété pourtant. L’autre drame du corps pouvant bien être d’être et ne pas être ce qu’on dit de lui. De n’être que ce que l’on dit et définitivement pas. L’autre schize ici bien mal affirmée.
Il faut alors aller vers la foule d’informations non-informées susdite. La sensation, dira-t-on. Et au-delà. De quel au-delà parle-t-on. De là où se situe le sentiment de soi, nulle part ailleurs repris, qui correspondrait au « je », nulle part repris, juste pointé dans le langage, par la pensée toujours reprisé, et profondément ancré dans le corps non-vu, trouvant une limite dans l’image imaginée seulement de soi et reflétée par les miroirs et reflétée par les regards et les paroles en commentaires. Parfois les attouchements. Voilà. C’est quelque part là aussi que se trouve le collier d’épaule susdit, chevalin. Celui où je fondamentalement me tiens.
La somme d’informations non-informées par où on se sent soi, le faut-il qu’elles le soient ? A priori c’est soi aussi d’être non-informé. Je me comprends. C’est d’être le lieu de la vie. La vie ! Remballe-moi ça tout de suite. On appellerait ça la conscience de soi. Globalement. Le lieu de l’inquiétude.
C’est poinçonné par le nom qui tiendrait tout ça ensemble ? C’est ce qui se dit. C’est sujet à caution (… )
(to do : lui enlever sa tête et son cou au cheval de l’illu)
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sommaire : petites matières d’oubli
il est très étrange ce texte, et pourtant il se tient plutôt pas mal à mon goût, cette bizarre conscience logée dans les épaules d’un cheval, on dirait un écorché de Fragonard qui raconterait sa vie…
Merci Marion, heureuse que ce texte vous ait plu.
j’avais l’après-midi, écouté la proposition de François Bon, qui m’avait beaucoup plue, et dont je m’étais promise de la ré-écouter en prenant des notes, et le soir-même, la nuit, cette image est venue dans le noir de ce cheval sans tête, que j’ai alors écrite sur mon téléphone. toute la première moitié du texte, s’est écrite comme ça. (et la deuxième, plus péniblement, dans le seul moment que je sois arrivée à me subtiliser le lendemain, dans la perte déjà de tout ce que je n’avais pas pu écrire dès le matin).
cette proposition de partir du corps, de la sensation, plutôt que du sujet, de partir de ce qui avait mis effectivement du temps à se faire, de ce qui avait déjà eu plusieurs vies, et des moments d’abômes, des cruciaux, des épiphanies, cela m’a paru absolument fécond.
« A partir d’Antonin Artaud : qu’est-ce qui peut remplacer l’énonciation par le sujet si on utilise le corps, la matérialité des intuitions, des perceptions, des sensations »
aussi, cette idée de l’émergence du corps par l’accident ou la maladie.
donc, ce qui s’est passé , ce cheval venu vers moi, cette image terrible que j’ai acceptée, je ne le sais pas. et le matin, ça a voulu reprendre. et j’ai bien senti que quelque chose là, demandait à trouver à s’écrire. et je me suis inscrite à l’atelier.
cela dit, ce cheval a toujours sa belle robe, foncée probablement, il a seulement perdu la tête et comme une poule après la décapitation, continue d’avancer, si ce n’est qu’il ne s’effondre pas.
« La somme d’informations non-informées par où on se sent soi, le faut-il qu’elles le soient ? […] Remballe-moi ça tout de suite. On appellerait ça la conscience de soi. Globalement. Le lieu de l’inquiétude. »
Votre texte est d’une subtilité talentueuse où ressort justement cette « inquiétude ». Qu’est-ce que vivre ( ou se vivre) dans un corps jugé chevalin ? Par qui ? Mais on peut aussi le prendre au premier degré, essayer de se représenter ce que pense un cheval soumis à la volonté d’un.e humain.e et qui cache ce qu’il pense dans une docilité factice. Une allégeance ambivalente. Beauté et intelligence chevalines presque antinomiques. Je pense aux poèmes d’Albane Gellé .
https://www.youtube.com/watch?v=YatQEcW80u4
Merci beaucoup Marie-Thérese,
Il y a, aussi, quelque part, dans des endroits qui se partagent généreusement et l’ombre et la lumière, éparpillés en des moments séparés les uns des autres, qui se parlent de loin en très loin, pour elle, pour cette femme-là, le corps chevalin, monstrueux et tendre. Ignoré et adoré et lieu de vie.
Je ne veux pas m’avancer trop vite, mais oui, le cheval a une volonté qui est ignorée et lui qui tout entend même distraitement aime à être entendu. Cela s’apprend, se rencontre. Dans l’écart. ( L’écart absolu, je veux dire, qui n’a pas peur de l’ambivalence, parce que littéralement ça conte autrement).
« On chercherait le silence, presque, on en parle. »
Rétroliens : #07 | de la préparation du corps – le cheval – l'heure de nulle part
Rétroliens : #07 – l'heure de nulle part