C’est informe et c’est gluant, ça a une couleur qui n’en est pas une, entre beige et sable, on ne sait guère, ça ne se laisse pas manger facilement, ça refuse les couverts, ça défie les bonnes manières, ça colle aux dents et au palais, aux doigts et aux lèvres. Ça dessine des boucles élastiques qui s’emmêlent comme les lettres qui en dessinent le mot.
On ne se souvient pas quand ni où on en a mangé la première fois, sûrement dans la chaise haute, à même le pot, à même les doigts, à même les bouts de pain trempés dedans, à même les fils qui courent du pot jusqu’à la langue, à même le caquelon dans lequel elle vient de fondre, de prendre sa texture, de se répandre dans l’air.
L’odeur du metton qui fond, oui, ça revient, ça existe, ça souvient, sa texture granuleuse, concassée, le beurre, l’ail et le vin blanc, la cuisson lente, lente, feu doux, à petits bouillons, on trempe la cuillère en bois qui ne doit pas en sortir propre, on la veut recouverte, onctueuse, nappée.
On la mange encore chaude, avant qu’elle ne durcisse. Les soirées d’hiver ce sera notre fondue à nous, réchauffée, recouvrant les pommes de terre en robe de chambre, accompagnée d’une salade verte. Les jours pressés, on l’achète toute faite, dans un pot en plastique ou en verre, étalée sur du pain frais, le pot vidé en quelques lampées. Raguin, La Belle Etoile, Poitrey, Milleret, Mauron. On en trouvera parfois en vacances, dans un pot Le Président et rien de moins, on s’étonnera qu’elle n’ait pas de goût.
Peut-être que c’est le lieu qui lui donne toute sa saveur. Le goûter au retour de l’école, le casse-croûtier vite fait, vite englouti, la tartine beurre-cancoillotte. Peut-être que c’est cette image dont je me délecte.
Je n’ai pas deviné tout de suite, seulement au troisième paragraphe avec l’ail et le vin blanc. Alors les souvenirs affluent…