J’ai commencé par en prendre les mesures – cinq point deux centimètres de long, trois point zéro de large, un point zéro de hauteur – tout à coup, je me suis avisé d’aller le peser : sur la balance électronique de la cuisine – il y a cinq carats dans un gramme, on a donc plus ou moins cent quarante carats d’argent – à quarante deux centimes le gramme, il y en a pour un peu moins de douze euros – un volume de quelque quinze centimètres cubes donc – il s’agit d’un réceptacle une boite, un couvercle qui pivote – elle me vient de ma tante (j’ai aimé avoir un objet de lui, j’aurais aimé en disposer aussi de mon père ou de ma mère mais non – mais j’ai des photos – ça ne fait pas objet) elle allait dans une des poches du gilet de son père (c’est de lui qu’elle la tenait) parce qu’il portait un gilet, un complet trois-pièces, une élégance de commerçant, il vendait du fil de fer, et elle est en métal, en argent, elle est usée mais elle a survécu à l’incendie (les photos, elles, ont brûlé) elle était sur le bureau, non sur l’étagère en face de moi (je vais essayer de trouver l’image : tout de suite gagné trouvée) – six faces dont une mobile – le couvercle qui s’enclenche à peine dans le reste du bâti; deux petits espaces scindent la sorte de gond qui permet le basculement : les trois parties du gond sont d’inégale longueur – lorsque le couvercle se ferme, le petit bruit dans le vide – le fond est percé, l’objet doit avoir probablement un siècle d’existence, dans l’angle inférieur gauche une soudure mais de nombreuses ouvertures qui en oblitèrent l’usage normal – il était oxydé, on en a fait l’image on aime les images et on en fait une autre une fois l’objet passé au mirror (il n’y a qu’un seul r à la marque) (tellement longuement j’ai aimé ce petit bidon bleu; la marque y est inscrite en blanc; le bouchon en est blanc, le liquide intérieur pue, dans les crèmes, il mousse – longtemps, dans le coin de la salle à manger qui faisait suite au salon, au coin gauche, vers la porte qui donnait dans la cuisine, se trouvait, dans l’angle, une armoire à une porte, on la nomme bonnetière : on y avait placé les divers verres de cristal de Baccarat ou d’ailleurs, cadeaux de mariage, la bouteille de Cointreau (je n’ai pas souvenir d’autres alcools à la maison mais il devait y avoir aussi une bouteille de whisky – certainement Black and White, deux espèces de chiens en étaient les représentants) plus les couverts en argent qu’il fallait, de temps à autre, passer au Mirror (je ne l’ai jamais fait, ou je n’en ai pas souvenir) : où est-ce passé ? zéro nouvelle) il faudra chercher un chiffon, dans le coin d’un des couloirs, un sac en est plein – le nettoyage salit et noircit le chiffon les doigts l’objet : on lave le tout (sauf le chiffon qu’on jette) au savon dans la salle de bain (dans la cuisine, l’évier est bouché), on sèche avec le reste du bout de chiffon et le voilà qui brille – on discerne mieux les petites entailles pratiquées sur le couvercle, le fond, les quatre côtés pour en souligner les angles : ces entailles ne représentent rien que je connaisse – elles ne sont qu’esthétiques, peut-être – sûrement, pour faire joli; je me suis souvent demandé où il avait bien pu se le procurer : quand j’y pense, je revois la porte de la Mer ou de France, je ne sais plus, qui donne accès, un peu plus loin, au souk – quelque part par là, sans doute, le travail des petites entailles renvoie à celui des plateaux de cuivre qu’on veut à toute force vous vendre, l’artisan l’ouvrier l’orfèvre l’artiste pratique avec un petit marteau et un petit ciseau dans le fond du magasin, atelier – la ressemblance avec ce qu’on fait ici casque aux oreilles musique qui isole en offrant sa tension son évolution son déroulé – il est là, posé, il me fait souvenir de lui : je ne sais pas de nos jours, plus personne ne prise ici, on peut voir parfois (surtout à Belleville, certes) des types chez les buralistes se procurer de petites boites rondes dans lesquelles le produit à priser est vendu pour quelques euros (lui prisait aussi) – certains en mettent quelques grammes peut-être dans une demi-feuille de papier à rouler (il se rapproche alors du snus des Nordiques), en font une petite boule qu’ils coincent entre les dents et la joue (leurs molaires) ou la lèvre supérieure (leurs incisives), je n’ai jamais vu de femme agir de la sorte, ou priser – lui en prenait une pincée entre le pouce et l’index et la reniflait d’un geste sec, refermait cette petite chose, petit coup de pouce et bruit sec et la glissait dans la poche gauche de son gilet comme sans y penser, il reniflait encore une ou deux fois – il était assis, devant la fenêtre qui donnait sur la rue et regardait passer le monde ; c’était au rez-de-chaussée de la maison qu’il louait, dehors le soleil tombait comme un plomb raide solide éblouissant
Superbe cette approche de l’objet peu à peu dévoilé comme les souvenirs qu’il fait remonter à la surface de la mémoire !
merci à toi Helena
Super Piero, c’est magnifique ton texte – J’adore te lire, merci.
content que ça te plaise Clarence – merci à toi
Ne la perds pas surtout !
J’ai beaucoup aimé le principe de la découverte petit-à-petit, c’est comme une intrigue 🙂
@ Danièle G-V : c’est elle qui ne doit pas me perdre – elle est là depuis plus longtemps en tout cas… (merci à toi)
@Rebecca : merci (tant mieux…!)
entre les doigts, comme un petit ordinaire dont il n’est pas utile de dire le nom jusqu’à presque la fin, une familiarité en découle, puis finalement la rareté du jamais vu – que le texte montre (ou invente) pour nous, on a de la chance !
tu sais l’objet qu’on sait connaître, là, lisse patiné doux frais présent – moi aussi, la chance de vous avoir pour lectrices/teurs… merci à toi
Je suis fasciné, j’aime tellement ce genre d’objet (et de texte).
évocateur sûrement… merci du passage et du commentaire
Super, c’est un peu comme une devinette ! ll faut se concentrer et il faut aussi de la patience….
tout ça pour rejoindre ta magnifique dernière phrase…
merci Françoise, trop sympa
que c’est beau
merci à toi Caro