DARENE DE LACROZE
deux maisons de campagne les Drenazières dans la Sarthe et la maison Darène de Lacroze c’était l’adresse une adresse que l’on retient de cette maison de village en Corse à Luciana une porte peinte en bleu clair à l’entrée d’une rue étroite où traînent des chats maigres dans l’ombre des recoins de village des marches qui ne mènent à rien des portes de caves et des impasses des plaques crues de soleil maison Darène de Lacroze 20 Luciana par Borgo et peut-être eut-il fallut mettre une majuscule à maison on a écrit ça au dos d’une enveloppe comment aurait-on appris l’adresse sinon on écrivait depuis les vacances pas depuis l’appartement familial on apprenait ainsi les noms de lieux on savait à peine où l’on était on traînait dans les ruelles désertes l’après-midi on prenait la fougasse chez le boulanger sans boutique un four et des fougasses saupoudrées de farine blanche la porte bleue était basse avec une plaque ronde de la taille d’une pièce de un franc sur laquelle on appuyait avec le pouce tout en ancrant sa main sous une poignée de fer cela soulevait à l’intérieur le pêne on entrait il fallait s’habituer au noir on descendait les marches à mi-hauteur dans l’unique pièce et sa mezzanine l’escalier collé au mur in medias res on devait être jusqu’à cinq gosses en vacances là une fois six deux avaient flirté souvent on campait sur la plage pieds nus sur ces herbes sèches de dunes des oyats les coquillages coupants et la mer à foison d’ailleurs en ce temps-là plus de père en bas des marches la pièce étroite en hauteur davantage qu’en largeur avec sa mezzanine l’échelle les matelas après les lits superposés du temps du père nous avions pris l’habitude des matelas mais il n’y avait pas de chute sociale c’était le choix des matelas on aimait ça les sacs de couchage parfois les sacs à viande en bas une porte fenêtre un balcon c’est un premier étage de ce côté alors que de l’autre la pièce est sous la rue maison Darène de Lacroze au flanc de la montagne toutes les maisons à flanc deux ou trois pièces superposées tout en escaliers où les vieux restaient à cette
époque les vieux restaient moins vieux peut-être certainement une gazinière un évier sous la mezzanine pour la préparation des repas cinq gosses traînant dans le village ce terrain vague servant d’abattoir où le boucher mais il n’y avait pas de boucherie seulement des camions qui passaient il fallait connaître leur jour le boucher ou celui qui voulait abattre allait abattre il restait des cornes anciennes et creuses mais parfois fraîches avec du sang on regardait ça on rencontrait nos Siamois qui vaquaient aussi dans les ruelles avant le retour au parquet parisien le trois pièces à la Bastille on descendait ces marches sans rampe après la porte écaillée attentifs à ne pas tomber tomettes hexagonales rouges dont l’une un peu décollée d’où un court staccato quand les cinq gosses y posaient successivement le pied chacun avec son poids et sa manière de franchir les escaliers selon que l’on était occupé par les cornes sanglantes ou l’imminent départ pour la plage en ID sorte de DS mineure à carrosserie bleue ternie comme si l’on en avait ôté le vernis la maison tout en tomettes les nez de marches en bois brut jamais teinté ni ciré la mezzanine en planches pas maçonnée posée sur trois poutres découpées à la hache et passées au brou de noix au-dessus de la gazinière et de la pile de l’évier en aggloméré de granit ou quelque matériau de cet effet moutarde foncé avec un piqueté de noir et de crème une pile d’un seul bloc égouttoir évier une cuvette vert bouteille pour la vaisselle et pour se laver un petit chauffe-eau au-dessus qui s’éteignait tout seul parfois on se lavait peu on mangeait de la fougasse le balcon donnait sur le flanc de la montagne des chênes verts des chênes lièges du maquis on n’y allait pas trop d’épineux de gros mammifères et de bêtes sauvages on avait nos cornes fraîches ça suffisait maison Darène de Lacroze ça n’allait pas ce nom et cette maison ça ne collait pas on n’a jamais creusé pourtant à chaque écriture de l’adresse on se demandait d’où ça venait Darène de Lacroze et puis on oubliait