Elle est assise à son bureau qui n’est pas d’écolière elle se dit Le gamin est rentré chez lui le bruit du ballon s’est tu elle s’interroge Chez lui ce Chez lui qu’on nomme communément Maison Je suis à LA Maison c’est MA Maison Maison comme un mot qui vient à la bouche à la bouche et non aux lèvres elle se dit Regarde quelqu’un prononcer MA Maison tiens mets-toi devant une glace tu vois ce n’est pas qu’une affaire de lèvres Mai-Son quand le Ai et le On se suivent un sacré boucan les joues le nez les expulsent c’est comme si on te les jetait au visage Maison MA Maison sale histoire pour ceux qui n’en ont pas les migrants immigrés de tous poils quelle expression pas franc d’aborder la chasse par le côté doux soyeux des pelages contenante enveloppante englobant bien du monde mais à la réflexion pas tant dans Tous Poils il y a de l’exclusion une façon de miner le langage migrants qui sont à la rue qui ne peuvent pas pompeusement car c’est pompeux Regarde-toi dans le miroir ça s’étire ça se ferme Mai Son Mai comme une porte qu’on ouvre sur le dehors Son la même porte qu’on claque au nez des autres pompeux et peut-être arrogant sans même le savoir quand on lance C’est MA Maison elle se dit Demande à ceux qui n’en ont pas plus si tu en connais et sinon crois-moi sur parole Elle se souvient qu’hier à la radio une chanteuse et une écrivaine racontaient le bonheur de leur quarantaine point culminant paraît-il d’une vie bien apprise grimper c’est acquérir en haut le reste du parcours se déroule sur un plateau il n’y aurait pas de descente elle se questionne On dit offrir sur un plateau alors elle cherche clique sur le Larousse via Internet lit tout haut Nanti Personne à qui il ne manque rien elle pense à son père à sa mère Et s’ils n’avaient pas atteint le plateau au moment où ils ont fui la quarantaine c’est imprécis peut-être qu’on est fragiles quand on n’a pas encore tout appris et hop on retombe vite au plus bas de la pente elle songe à Sisyphe « en proie à ses tourments, soulevant des deux mains un énorme rocher, il le poussait en haut d’une énorme colline mais allait-il le faire basculer qu’une force le retournait et de nouveau la pierre sans pitié dégringolait » et voilà voilà qu’à une poussée de plus il semblerait que seuls les nantis le savent la pierre se stabilise sur la paisible surface d’un plateau elle se dit Arrête de faire comme si tes parents avaient seulement raté la marche la dernière arrête de penser qu’ils auraient pu se hisser tout en haut Elle se rappelle l’histoire d’André et de sa sœur cadette André né dans LA Maison qu’il n’avait jamais cessé d’habiter celle que son père avait hérité de son père sans doute ces deux-là aussi y étaient nés Maison qu’à la mort de son père il acheta il avait vingt ans elle ne valait pas grand-chose ses frères et sœurs lui vendirent leurs parts ils continuèrent tous à vivre dedans avec leur mère et quand il se maria il avait plus de soixante ans une sœur sa cadette la partageait encore avec lui il dut l’expulser la jeune épousée se sentait épiée mais sa sœur revenait elle avait toujours oublié quelque chose et même si avec le temps elle s’habitua sur le papier voilà plus de quarante ans que ce n’était plus chez elle à être dans ce qui avait été SA Maison une invitée son fantôme s’y était installé bien à son aise empêchant que l’on touche à sa chambre d’enfant de jeune fille de femme on ouvrait la porte on restait sur le seuil il semblait impossible de pénétrer dans ce lieu d’un autre temps poussiéreux vieillot gris mort pour tous sauf pour elle zélé à tisser tout autour la toile du cocon MA Maison Mon Cocon car n’est-ce pas ainsi aussi que l’on nomme son Chez Soi un cocon doux chaud protecteur protecteur elle se dit Ta gorge se contracte vois tes poings se serrent écoute ton cœur s’emballe Petites ma sœur et moi nous traînons au sol maman a étendu sur les carreaux de ciment de la salle à tout faire une couverture rose en coton quand dehors il fait cinquante degrés à l’ombre que c’est l’été au moment de la sieste ma jumelle n’a pas encore six ans une jumelle de trois ans mon aînée moi je sais à peine parler j’ai des gazouillis plein la bouche Mai-Son Mai-Son je mâchouille les fils qui s’échappent du tissage de la grande couverture je ne pense pas je sais je sais déjà que là je suis chez moi dans MA Maison j’ignore que bientôt depuis cinquante ans c’est toujours tout à l’heure je n’y vivrai plus je ne reverrai plus MA Maison Elle se lève parcourt la pièce qu’elle nomme aussi Mon Bureau Mon Bureau dans Ma Maison elle comprend une fois de plus que pour elle pour ses parents cela ne veut rien dire MA Maison le cocon s’est défait s’est perdu même les fantômes ont failli il ne reste que des mots qu’on expulse par la bouche en lançant pompeusement selon les circonstances MA Maison Chez moi Dans MA Maison mots cogneurs qui blessent entament pour le détruire mais sans y parvenir le souvenir de l’ancien ailleurs.
je commente, avec appréhension, les textes que j’aime. Sans savoir trop les analyser. celui-ci m’inspire beaucoup. « Et s’ils n’avaient pas atteint le plateau…à une poussée de plus, seuls les nantis le savent, la pierre se stabilise » vrai pour les migrants les immigrés, pour André et pour « Elle, assise à son bureau », le cocon s’est défait. ce texte est très vrai, poignant. Merci.
Je suis là, assise à mon bureau, je suis touchée au cœur. Merci.
(on voit bien qu’il se décline ici, le possessif) (c’est peut-être de lui dont il faudrait se défier ?) (c’est bien – avançons…)
Le doigt sur la plaie. Avançons. Merci pour cette lecture.