Peut-être lui faut-il un peu de temps pour arriver, intégrer le trajet parcouru et se projeter dans ce quelque part encore incertain, si fragile mais tellement désiré. Ici, tout relève de la nouveauté, rien pour borner le déjà connu, rien pour se repérer dans ce qui pourrait réveiller un sentiment familier, tout est si léger, si déroutant. Et ce besoin viscéral d’abandonner hier, construire dans un lieu étonnant un ailleurs, un nouveau monde aux saveurs d’aventures, de découvertes. Rire, sentir, marcher, écouter, regarder. C’est comme une histoire à écrire phrase après phrase, à construire jour après jour. Elle s’étonne. Peut-être que cet infime point du monde devient son nouveau repère, celui qui porte en lui la mission de guide dans sa quête perdue de l’espace, et lui permet de stimuler l’envie de se tourner vers l’inconnu sans avoir peur de s’égarer à nouveau. Pour la première fois depuis des mois, elle croit en ces moments furtifs où se lover, dans lesquels elle fortifie sa mémoire et convoque le présent pour le déplier à l’infini. Peut-être que ce voyage est sa manière à elle de se pencher sur les saisons passées pour identifier les absences, laisser en elle se former une place vacante et accueillir l’histoire à écrire. Ce besoin de tout recommencer, d’adopter aujourd’hui pour mieux le réinventer et laisser de la place pour demain. Explorer son monde intérieur, reprendre sa longue introspection solitaire, et la poursuivre en traversant le vrac des choses, des êtres et du temps. Être à l’écoute de ses sensations, prête à tout recevoir. Être en harmonie avec sa respiration intérieure, celle d’avant les mots. C’est ce qu’elle a décidé un matin d’hiver à dix heures cinq, vers la place des Trois Soupirs.
Maintenant elle est là, dans cette chambre à la fenêtre ouverte sur un jardin éclairé de lanternes et à portée de son regard, dans un vase délicat, une pivoine rose aux pétales à peine froissés semble l’observer. Quelque chose de subtil se dégage de cette scène comme un parfum de mélancolie, de douceur enfouie. De cet instant en suspension dans le temps, elle en ressent les moindres vibrations avant qu’elles ne s’évanouissent comme un songe. Elle observe l’étrangeté du lieu, nu ou presque. Elle observe le futon déplié sur les tatamis et les parois de papier, hume le parfum entêtant des magnolias. Elle s’observe elle-même comme dans un face-à-face improvisé dans un miroir, avec cette curiosité innocente et fragile caractéristique des premières fois, et ne croise qu’une inconnue imaginaire rencontrée la veille. Aussi, les heures écoulées lui reviennent à la mémoire — l’arrivée à l’aéroport, le long trajet à l’arrière d’une voiture glissant dans la nuit et le quartier plongé dans la pénombre. Le temps devient autre. Plus transparent, presque translucide. Sans doute ces images lui reviennent par bribes puis s’effilochent pour ne plus exister. C’est donc ici qu’elle est à présent, dans un nouveau pays, une nouvelle ville, un nouvel espace de vie. Non loin, en toute discrétion une cloison glisse.
Vraie et belle sensation du passage
très touchée nathalie
J’aime beaucoup les pivoines… La quête de soi, de son propre mystère… Le Japon, lieu idéal pour ce faire. Qu’y a-t-il derrière la cloison, le sait-elle ?
c’est la question… merci de la poser!
Si bien écrit et décrit, Dominque ! J’ai beaucoup aimé !
merci helena pour ton retour et surtout d’avoir pris le temps de lire…
Belle atmosphère subtile et entêtante d’un dépaysement qui est aussi quête intérieure…
merci beaucoup muriel pour ce retour encourageant et qui, par ces mots, me fait prendre conscience de la route à suivre. très touchée
« Laisser se former une place vacante pour accueillir l’histoire à écrire » et j’ajouterais, laissant vos mots résonner en moi, laisser l’histoire à venir élargir cette place, ouvrir encore cette vacance — et je pense : cette béance ?
C’est une très délicate et belle entrée en matière.
merci christophe pour ces beaux mots sur ce texte. oui! il faut aller voir plus loin, laisser l’histoire prendre sa place, interroger « cette béance »…