Ils sont là, quatre adultes, plantés sur l’escalier de la terrasse devant la grande maison, avec ces passés dénoués par le temps ou déchirés, et ce qu’ils ont en commun c’est leurs regards sur les deux enfants, le fils et puis cette petite sœur, Julie, qui n’est sienne qu’avec éclipses, l’ainé faisant semblant d’hésiter, elle le suivant avec attention, roulant sur les petites jambes potelées qui sortent de la jolie robe à smocks – elle s’est pavanée avec délice ce matin devant son père, celui qui est un peu en retrait là, en visite dans ce jardin, quand sa mère a tapoté le dernier petit bouton de fausse nacre dans son dos – sa robe de fête qui dépasse de sa parka puisque oui le printemps pique les joues et les mollets de sa fraîcheur, et elle a des petits rires de triomphe quand elle se précipite pour écarter les feuilles au dessus desquelles le garçon a laissé flotter sa main, et découvre, dans un petit nid de papier posé sur la grasse terre brune des minuscules œufs de sucre rose, vert ou blancs ou des petits poissons d’un brun chaud.
Et les deux femmes qui se sont embrassées tout à l’heure quand le couple est arrivé puisque c’est le début de la semaine de la mère et que leur bonne entente avec lui, le père, est si évidente, bien entendu, que la cérémonie de la chasse aux œufs doit avoir lieu ici – ils n’ont pas de jardin – avant qu’ils repartent tous les quatre, eux et les enfants, pour le déjeuner, le gigot rituel, chez le notaire, le grand-père de la petiote, qui a autorisé cette légère dérogation, les deux femmes entre deux cris d’encouragement, se sont rapprochées et revivent, en petites phrases qui volent de l’une à l’autre comme un pingpong presque sans erreur, les rires cascadant de celui qui a maintenant fini de jouer le grand frère protecteur et va chercher, là où il sait qu’ils se cachent, les deux gros œufs, la poule, le poisson, choisit les plus gros, ramène à sa sœur les deux plus petits et plus clairs – pas de chocolat au lait pour lui –, et trouve visiblement que cela a assez duré, lui qui, dans les bras de son père accueillait alors les bonbons colorés avec la grâce attendue, et elle la mère rappelle la terreur qui lui a fait se cacher le visage contre le torse paternel quand sa toute nouvelle tante – alors tu t’installe ? si contente que tu fasses revivre notre petite maison – lui a présenté un énorme lapin noir – oui je ne réalisais pas, tu sais les enfants moi à cette époque – alors que maintenant ? – oh maintenant j’ai des neveux.
Les deux hommes eux sont silencieux, détendus, l’un, en retrait toujours, avec son sourire plaqué comme un insigne, attend qu’il soit temps de remercier, de partir, pendant que lui, le père s’est absenté, il est l’ainé, et son petit frère, en courant avec lui d’une touffe, d’un rosier à l’autre, lui demande s’il croit vraiment que les cloches que l’on ne voit ni entend jamais sont passées au dessus de leur jardin et comment elles font pour viser aussi bien sans déranger les feuilles et les premières fleurs, et il ne sait pas répondre, d’ailleurs il s’en moque, comme du sucre et du chocolat – ne pas le montrer pour ne pas chagriner les parents – ce qu’il aime ce sont les fleurs du pommier, et puis la cabane qu’il a commencé à construire dans la haie et qu’il retrouvera dans l’après-midi quand son père dormira presque devant la télévision.
image © Brigitte Célérier – Avignon
Il y a de la grâce dans cette quête des œufs au jardin… un texte de circonstance aussi finalement…
beaucoup aimé la petite tape sur le dernier bouton de fausse nacre ! et aussi la fraîcheur piquante du printemps.
grand merci Françoise, et mille pardon, hors d’état aujourd’hui de lire… ça passera
c’est très fort ces temps qui ondulent et se mélangent. J’ai vu une fabuleuse cabane nichée dans un arbre, il y a deux trois jours, en allant chercher des courses, elle avait un air délicieusement renfrogné, faudrait que toutes les cabanes du monde…
oui UNION des cabanes !
J’ai senti comme de petites molécules de temps qui rentrent en collision avec la juste énergie pour me transporter de réaction en réaction, de liaisons en liaisons tout en dégageant les douces saveurs parfois amères du chocolat…
merci
Subtile évocation de moments passés, en trois paragraphes, en trois longues et denses phrases, en trois longs souffles de vie puis on rêve de s’assoir sous les fleurs de pommier.
merci pour votre gentillesse
Oui, c’est beau et ça semble tellement toujours avoir coulé de source vos histoires, s’être écrites toutes seules… Fascinant, ce monde planté et en trois phrases on le tient tout entier. Merci, Brigitte.
ça c’est merveilleusement gentil, moi qui trouvait qu’en plus d’être « coco » (en langage familial : gentiment idiot) cela « puait la sueur »