1.Dans la nuit du samedi au dimanche, un moustique a agacé mon oreille. Impossible de dormir. L’horizon bouché de l’avenir m’est revenu en pleine figure en bourdonnant. Il fallait trouver une ouverture, elle ne pouvait être que cachée. La cryptérature m’est venue ainsi.
2.Dans la nuit du samedi au dimanche qui a précédé sa première convocation à l’académie, Pelle a passé du temps à regarder la lune, la belle lune d’automne, pleine, avec sa face visible et sa face cachée. Il a fini par se dire que même sur la face visible il y avait des choses cachées et s’est demandé s’il trouverait le courage de parler de cela, à l’académie.
3.Dans la nuit du samedi au dimanche, comme souvent, le vin m’a rendu la digestion difficile et j’ai senti que je m’agitais et déglutissais bruyamment. Pour ne pas déranger Anne, j’ai décidé de me lever. J’ai voulu écrire, rien ne venait. Pour retrouver un peu de paix, je me suis dit que ce que j’avais à écrire était caché en moi et qu’ainsi, c’était bien protégé, qu’il suffirait que le jour se fasse. Quelque part.
4.Dans la nuit du samedi au dimanche, Svante rêve toujours à Victor-Hugo. Pour cela il en lit des pages jusqu’à s’endormir. C’est le soir où l’on peut s’endormir à l’heure qu’on veut, c’est la nuit de la semaine où l’on peut dormir jusqu’à l’heure qu’on veut, les rêves ont de la place. Alors, autant rêver à Victor-Hugo ou à ses personnages. Svante le connaît depuis ses vacances d’enfant en France. Une varicelle estivale lui avait valu de dévorer Notre-dame de Paris traduit en anglais. Même sans prétexte de maladie, les autres œuvres, des milliers de pages !
5.Dans la nuit du samedi au dimanche, une tempête est passée sur la France. Elle a balayé mes grands rêves d’écriture, il allait falloir s’occuper des branches tombées au jardin, des tuiles probablement soulevées et risquant de créer ainsi des gouttières, aller voir dans le quartier s’il n’y avait pas de dégât pire et de voisin à aider. La rengaine d’Aline m’est forcément revenue : à quoi bon écrire, l’essentiel c’est de vivre ! Au plus fort de la tempête nocturne pourtant j’avais entendu un contrevent battre à une cadence irrégulière. Cela ressemblait à une voix cachée. Ce qu’elle disait mérite d’être écrit pour d’autres, non ?
6.Dans la nuit du samedi au dimanche, Jila et Henning ont fait l’amour. Pour la première fois et apparemment sans préméditation, ni pour l’un ni pour l’autre. A la fin de la grande réception à l’académie ils ont pris le même taxi. A sa descente devant chez elle, Jila a eu un geste vague et Henning est descendu aussi, après avoir payé le taxi. Alors Jila a souri et Henning s’est senti bizarre, comme il ne s’était jamais senti depuis son arrivée, en Suède, à la fin de l’adolescence. Plus tard, Jila lui a dit qu’elle avait éprouvé la même chose, elle qui n’est en Suède que depuis sept ans. Ils sont donc montés ensemble à l’appartement de Jila et tout de suite dans la chambre de Jila. De l’amour, il n’y a rien à écrire, comme si cela devait rester caché.
7.Dans la nuit du samedi au dimanche, j’ai enfin senti l’espoir revenir. Un rossignol a peut-être chanté, bien caché dans les branches du tilleul. Il avait quelque chose à dire et moi aussi. A dire caché. Savait-il pourquoi, lui ? Alors moi, j’avais bien le droit de ne pas savoir non plus. J’allais écrire sur la cryptérature et cela allait rester caché, méprisé des éditeurs… la belle affaire ! J’avais toute la nuit de l’humanité pour moi, avec ses rêves honteux et magnifiques, avec ses scènes d’amour à garder clandestines, avec les tempêtes à venir qui vont tellement nous démolir, avec nos béquilles d’écriture où un jour Victor-Hugo ira se faire voir comme tous les autres, les secrets de mon corps à écouter, tous les académismes à laisser en arrière en me disant que même si les jours nous déçoivent, il reste la possibilité d’une cachette de nuit.