Cheminement dans l’histoire d’une région, de la fondation d’un quartier à la description de l’inextricable jungle qu’il devient, ce roman décrit et confirme l’enchantement des liens entre les êtres doués de parole et de sentiments, les plantes et les animaux, la nature en mouvement perpétuel, l’espace-temps qui se déploie. Ce texte choral et chatoyant, tissé de français et d’une langue autochtone, se nourrit de centaines d’années d’histoire et d’autant de cultures. Dans un style unique et foisonnant de poésie multicolore, il m’a emmenée le long des chemins et des rues, à la découverte d’un monde, entre les générations et les temps passés, de l’origine du premier personnage évoqué (début du XIXe) jusqu’à l’époque où le roman s’est écrit et a été publié (fin XXe). La narration, qu’elle explique la généalogie ou détaille les conditions et lieux de vie de chaque protagoniste, est d’une fluidité, d’un style et d’une précision merveilleuse.
En lisant d’autres ouvrages ou visionnant des docs sur le lieu du roman ou son auteur, je me souviens qu’il m’a aidée à mieux comprendre ce monde auparavant inconnu, et, en parallèle, à aiguiser mon désir de lire, plonger dans un texte, me laisser emporter dans un récit (d’histoire, de sentiments, de géo ou de sociologie, etc.). Toute mention de la région où se situe le roman, des habitant·es et histoire de ces lieux me ramène immanquablement à ces pages. Les plantes, mets ou boissons de cette contrée qu’on peut trouver par chez moi en sont aussi un rappel perpétuel.
Il m’a été offert à sa sortie par ma belle-mère de l’époque, à l’occasion d’un départ-début d’une nouvelle vie vers le lieu décrit dans le roman. Ou bien quelques années après, je ne sais plus, quand nous sommes repartis en famille pour une deuxième tentative d’y vivre. Je n’avais encore jamais lu de livre écrit depuis et sur cette région du monde. Entamé là-bas, sans réussir à « entrer dans le texte », je ne l’ai pas lu en entier. Je l’ai repris lors de mon deuxième séjour, avec les enfants qui m’accaparaient trop souvent pour le lire d’une traite… Il faisait beau et chaud comme dans le roman, les lieux et les personnages surgissaient des pages comme à chaque coin de rue, de forêt ou de bord de mer. Je n’étais pas encore bien acclimatée, mais déjà j’ai saisi la profondeur, l’énormité littéraire et mémorielle que ce texte représente.
Je n’ai pas de souvenir précis de relecture complète, si ce n’est après retour définitif, une fois repris le quotidien de la vie d’avant en Bretagne, si différente du pays quitté. Ma connaissance des lieux et des gens de là-bas m’a donné comme une solastalgie, une tristesse de n’avoir pas lu et savouré chaque chapitre du roman dans les endroits mêmes où il a été écrit et qu’il décrit si magnifiquement. J’ai aussi relu parfois quelques passages pour voyager encore, continuer d’apprendre à écrire, ou mieux en parler avant de le prêter ou l’offrir à des personnes qui partaient à leur tour là-bas ou s’intéressaient à cette région qui me semble incompréhensible sans avoir lu ce texte – ou d’autres du même auteur. La dernière fois que je l’ai prêté, on ne me l’a pas rendu. Je l’ai retrouvé longtemps après dans une boîte à livres publique, quand j’entamais le projet d’écriture de « Maria d’An Drinded ». J’ai alors pris conscience de ce qu’est la construction d’un roman, de comment dérouler le fil d’une histoire, des ramifications qui croissent et se multiplient au fur et à mesure qu’on tourne les pages. Ce texte m’a aussi permis de mettre en perspective le cheminement d’écrire à partir de ce qu’on a vécu… En le feuilletant à nouveau, près de trente ans après l’avoir ouvert pour la première fois, j’ai éprouvé un coup au cœur à la lecture des dernières lignes de l’auteur : « à …, août 1987 / janvier 1992 ». Ces dates correspondent exactement à la période magique de mon existence où, des premières relations amoureuses, professionnelles ou de simples rencontres de voyage, jusqu’au jour de devenir mère, j’ai commencé à prendre des notes pour plus tard raconter le meilleur et raturer le pire, imaginer d’autres espace-temps, moi aussi. J’ai vu dans cette synchronicité un signe pour me mettre sérieusement à raconter l’histoire des femmes de ma famille maternelle. Bref, il m’a sûrement donné une impulsion pour entamer mon propre chemin d’écriture.
J’ai pu rencontrer son auteur lors d’une présentation de son œuvre l’année dernière et discuter avec lui brièvement, lui dire l’importance de son livre pour moi et … repartir avec une belle dédicace. Ce contact a été comme l’ouverture d’une porte vers le monde trop sacralisé des écrivain·es reconnu·es.
Le texte se fait âpre, et serré au fur et à mesure, peut-être d’avoir perdu au loin, les lieux… belle entrée,
merci d’être passée, Catherine, hâte d’en dérouler le fil, au fur et à mesure … et de te lire aussi 😉
Ce livre qui comprend et éclaire un paysage perdu retrouvé ( le paysage comme le livre) Ce livre qui coïncide avec un moment intense d’existence.
« Ce texte m’a aussi permis de mettre en perspective le cheminement d’écrire à partir de ce qu’on a vécu » comme une direction pour le roman à venir…
« solastalgie » merci aussi pour la découverte du mot
Merci Gwenn. Profondeur et mémoire, captation de vies, paysages, dans l’épaisseur de ton écriture.
Merci. C’est dense, c’est beau. Comment un livre raconte une histoire, des paysages, un ailleurs. Avec toute sa part fondatrice.
je suis sensible à ces synchronicités que vous décrivez dans votre texte. Cela m’a donné l’impulsion de commander Maria D’an Drinded que je souhaitais lire depuis quelques mois ayant de la famille d’Auray et un attachement fort à ce coin de Bretagne où j’ai passé une petite partie de mon enfance par intermittence. Merci d’avance pour cela aussi.
je retiens surtout le paragraphe 3 qui m’a semblé dire plus que les autres, plus loin surtout (et presque suffisant pour moi en cet instant où je te lis)
« Il faisait beau et chaud comme dans le roman »…
salut Gwenn, j’arrive enfin sur la pointe des pieds !