#anthologie #prologue | un jour

Un jour je suis commencée; je suis une potentialité d’être sous les fleurs d’une robe qui n’a pas l’air de noce. Je suis neuf stations (jour pour jour) : à terme. Je monte à la vie : la mère de la mère a les yeux dans l’origine et voit une boule de cheveux noirs. Je passe. Je suis d’un embrasement de juin née l’hiver. Je suis un cri : deux poumons dilatés, une bouche en toit de maison, des orteils et des doigts très longs dit l’histoire. Je suis 1+1 qui fait 3 ; un cadeau pas voulu. Je suis son « petit homme » née fille. Un genre. Un poids. Une taille. Deux prénoms. Un nom. Je suis un agencement de lettres et de chiffres chargés d’histoires : le début d’une fiction (et plein de petits noms viendront). Je gloutonne, je dors je rêve, je babille, je ris dans un couffin qu’on trimballe : enfant de la balle, de trois maisons. Je me fais une place dans les bras, pas ceux du père pour raison sanitaire. Je suis de grands-mères, souvent. Je vais vite en mots, en marche, en propre. J’ai de la gaité et de l’appétit pour trois…. Et d’un coup, voilà quatre. Un jour – et c’est très vite–, je suis ainée. Je montre l’exemple. J’apprends bien ou mal. Vrai ou faux. Noir ou blanc. Je suis d’un monde qui se divise. J’explore : alcool à brûler, panier d’épices, ciseaux, couteaux… Je colorie. Je patouille. Je fais des châteaux de terre et des gâteaux de sable (ou c’est l’inverse). Je suis ce que montrent les photographies et ce qu’inventent les souvenirs. Je suis ce à quoi on m’assigne et « pas là ». J’aime l’école. Le dehors m’attire. Lever la main Dire. Réciter. Tracer. Je fais rire la classe. Je suis une élève qui peut mieux faire. Et qui excelle parfois. Je m’effraye de la nuit. Peur du noir. Je lis pendant des heures sans m’arrêter puis plus du tout. Je joue. Je mime. Je m’absente. Je suis timide. Je fais le clown, je « bravache ». Je suis oiseau. Pierre. Chèvre. Ogre : On dirait que je serais. Je joue à la poupée quand elle meurt. Je dessine ma main au fusain. Je mens par omission : J’imagine. Je rumine. Obsessionnelle compulsive. Je me cache derrière le rideau, le pilier, l’arbre. J’invente des décors. Je vois la petite bête. Je fais et refais la même page, le même plan. Je roule des cigarettes. J’écoute des morceaux en boucle. Je doute ; Je doute. Je me prends pour Hamlet. Je m’accroche; Je tiens tête. Me rêve Antigone. Je « m’amazone ». Je me revêts de noir. Je séduis des hommes. Je bois des coups au bar. Je cherche le bon rouge, ni sang, ni chine : C’est si beau le pigment pur. Je broie du rouge. Je ne dors plus. Je tire à pile ou face ; je fais semblant de savoir. J’écoute avec mon cœur. Je cherche une raison. Bras ballants. Je reste sur la question. Je dis non. Mais aussi oui à tort. Je suis bien et mal et noir et blanc et vraie et fausse; je suis ce que j’entends et ce que disent leurs silences. Je prends sur moi. Tentatives. Perdition. Brûlure. Questions sur questions mais corps pour aller danser. Aimer. Fuir. Par peur ou par paresse je perds mon temps. Par flemme ou par orgueil je me dénigre. Je vais trop vite. Je rêves sur rêves les yeux ouverts. Insatisfaite. Cheveux en quatre. Je me passionne. Curieuse. Sans mode d’emploi. Je m’engage. Je tiens parole. On peut compter sur moi. Je suis là. Je monte les marches de l’hôpital. Je cuisine pour dix. Je descends l’escalier de la morgue. Je m’éloigne. Je prends des trains ; je marche ; je marche; je marche: seule. J’aime être seule. Je meurs pour de faux plusieurs fois. Je pâli, rougis, balbutie. Je jouis. Je croque un fruit mais serai toujours là pour toi, juste un peu sur le côté. Je me déconcentre avec une mouche. J’oublie les noms propres. Je reconnais ceux que je ne connais pas. J’apprends à regarder dans les yeux. Je m’éparpille. Je fonce quand il faut. Je perds et je gagne au bras de fer. Un jour je mets au monde une fille. Je m’émerveille. Je me lève à l’aube pour écrire. Je découvre le présent de l’indicatif. J’élimine des adjectifs. J’attends juin le cœur battant. Puis c’est la nuit. Un jour je deviens vieille . vieille. Je veille sur elle qui est plus vieille. « Vous avez soixante cinq ans Vous avez soixante cinq ans Vous avez soixante cinq ans Vous avez soixante cinq ans Vous avez soixante cinq ans Vous avez soixante cinq ans » c’est le médecin qui parle sans te regarder : je suis que je t’emmerde. Un jour je suis finir. Vieille. Vivante. J’ai douze ans. Je marche. Je marche. Je marche avec des fantômes. D’ailleurs. D’ici. Maintenant. Je regarde. J’écoute. Je ne m’insurge pas assez fort. Je suis qu’on ne peut pas laisser faire ça. Et pourtant.

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

21 commentaires à propos de “#anthologie #prologue | un jour”

  1. Quel torrent magnifique, ça coule et ça défile…je m’y retrouve parfois et soixante cinq ans aussi, vieille et vivante, je prends! Merci

  2. Merci Nathalie pour la beauté et la force de ce texte, élan de vie. Marcher, marcher, marcher et être, être, être « qu’on ne peut pas laisser faire ça ». Vive la vie. Merci Nathalie.

  3. « Un jour je suis commencée » bien avant le commencement du cri ; « être sous les fleurs d’une robe » c’est beau. Merci Nathalie

    • Que ce texte est touchant et magnifique ! « Je prends des trains ; je marche ; je marche; je marche: seule. J’aime être seule. »
      Ces phrases courtes, cette accumulation de verbes qui en disent tellement. Merci !

  4. Texte en rafale pour un autoportrait. « Je vais vite en mots, en marche, en propre. » La vitesse, les mots, les images, vous êtes toute là Nathalie.

  5. Quel beau texte ! L’impression qu’une vague partie du ventre a déroulé ce tissu de vie, depuis « les fleurs d’une robe qui n’a pas l’air de noce ».

  6. Bonheur à la lecture. Quelle vie ! quel rythme ! superbe autoportrait. entre le début :
    « Un jour je suis commencée; je suis une potentialité d’être sous les fleurs d’une robe qui n’a pas l’air de noce »
    et la fin du texte :
    « Vous avez soixante cinq ans » c’est le médecin qui parle sans te regarder : je suis que je t’emmerde. Un jour je suis finir. Vieille. Vivante. J’ai douze ans.  »
    et aussi : « Je suis qu’on ne peut pas laisser faire ça. Et pourtant. »
    C’est vraiment magnifique. Merci !

  7. (peut-être pas à « petit homme »(encore que) mais pour les autres (même les soixante-cinq) j’enlèverai les guillemets) (on fait ce qu’on veut) (des fois on gagne et des fois on perd – l’important c’est peut-être d’y jouer) (j’aime beaucoup « je suis finir » moins le précédent encore qu’il le mérite bien, je suppose – j’aime beaucoup (cependant) (aussi) le « je suis commencée » : formidable – et tant mieux on serait tenté de dire) (après c’est chacun sa vie, après hein et on en fait ce qu’on en veut/peut) (magique) Merci donc (extra) (comme dirait Phil « ça commence bien »)

  8. De « je suis commencée » à « je suis finir » (et « je suis que je t’emmerde »), la force du texte m’a entraînée, en se déroulant mais pas linéairement, avec ses accrocs qui accrochent justement. Merci Nathalie.

  9. tout.. oui tout

    alors je garde juste (mais un peu au hasard et parce que ça m’a donné sourire triomphant
    « Je suis ce à quoi on m’assigne et « pas là ». »

  10. Isabelle, Ugo, Cécile, Stéphanie, Marlen, Françoise, Piero, Lisa, Laure, Brigitte, Marie-Thérèse Merci de vos lectures. Je rentre dans les textes ça commence fort. Beaucoup d’émotions de lecture. Merci !

  11. …des mots qui parlent aux … maux du ventre et pas que…
    Vive la médecine quantique !!
    merci !

  12. J’aime comment le « je suis » se désagrège. On s’attache aux poussières du texte. Et cet écho du « on » (on dit que je serais). Je suis qu’on se retrouve sous une cascade. Merci Nathalie.

  13. Merci Nathalie ! Oui décidément j’aime autant ton regard photographique que tes mots. Cavalcade en cascade de vie en mots et quelle écriture ! J’aime tout mais tout particulièrement les phrases en « je suis » comme « je suis de grands-mères, souvent. » / « Un jour je suis finir. » / « Je suis qu’on ne peut pas laisser faire ça. » / « Je suis d’un embrasement de juin née l’hiver. »… et tout le début. Un autoportrait fait de touches délicates et sensibles qui donne à voir entendre imaginer vibrer une femme bien VIVANTE. Merci donc pour tout ça.

  14. Merci Ève, Jean-Luc, Emilie de vos retours … et de vos textes. Je ne sais pas si on pourra beaucoup se lire une fois embarqué.e.s . Quel bel échange ce prologue

  15. Joie de lire ce texte.
    Beau, vivant, juste.
    J’aime beaucoup ce passage où il y a cohabitation de ce qui s’oppose : « Je dis non. Mais aussi oui à tort. Je suis bien et mal et noir et blanc et vraie et fausse; je suis ce que j’entends et ce que disent leurs silences. »
    Et aussi, être grande (l’ainée) et un peu plus loin, faire des châteaux de sable, colorier (continuer à être une enfant). Et puis mettre au monde, être ‘vieille’, soixante cinq ans, emmerder le médecin et puis avoir douze ans.
    Et puis tant d’histoires qui se lisent parfois dans un seul mot, un autre, une courte phrase.
    Et comme chez d’autres participants, admiration pour la singularité de l’écriture, du style.
    Bravo !

  16. « Je monte à la vie : la mère de la mère a les yeux dans l’origine et voit une boule de cheveux noirs. »

    Extra !