# cycle été # 00 | Prologue | Peter Handke | Kilomètre zéro…

Je n’ai pas choisi mes parents. Eux non plus. Ils se sont choisis pour que j’existe. Ils n’ont pas prévu ma naissance. Moi non plus. De mes sensations fœtales et embryonnaires, je n’ai aucun souvenir. Je n’ai pas choisi mes origines. Mes origines sont dues au hasard. Mes origines sont géolocalisables. La géolocalisation a permis à mes parents de se rencontrer et de se fréquenter . Ils ont fricoté à la barbe du paternel maternel. Ils ont bravé sa colère. Il avait ses raisons. D’ailleurs à 27 ans ma mère ne voulait toujours pas se marier. Elle avait ses raisons. Ses beaux-parents ne voulaient pas de ce mariage. Ils visaient une union plus lucrative. Le couple a court-circuité les objections. Ils en ont fait à leur tête. Ils ont valsé et tout fait valser. Elle est tombée enceinte. Ils ont grandi tout d’un coup. Cela n’a pas été facile. Après trois gars, je suis la quatrième de cette union controversée parfaitement légale et religieuse. Ma mère s’est mariée en noir. Elle avait ses raisons. Sans doute par provocation. Alors j’ai raccourci ma gestation. Je suis née avant terme et sans ongles, à la maternité près des arènes de taureaux. Ce fut prémonitoire. La mort rodait déjà autour de mon berceau. Et peut-être même avant. J’ai été pressée de sortir de son ventre. Il y avait beaucoup de bruit dehors et peut-être de la musique. Je voulais voir à qui j’avais l’honneur d’appartenir. Je voulais être présentée. J’ai glissé comme une grenouille entre les mains d’une sage-femme. Vous avez une fille, madame ! – C’est très bien, mon mari sera content ! Je suis passée de bras de mère à bras de père et j’ai été rassurée. Il allait assurer. Pas d’allaitement au sein. J’aurais bien voulu. Ma mère avait des séquelles de tuberculose et c’était contre-indiqué. Ce fut le plus grand regret de sa vie . Une tribu déjà à nourrir et à driver. J’ai d’emblée été sage et peu demandeuse pour ne pas compliquer la situation. J’aimais les promenades en landau surchargé et la lumière du Sud sur nos habits blancs. Mes frères m’embêtaient , me cajolaient et me faisaient rire aux éclats. Une bande de clowns. J’ai marché au milieu d’eux, assez tard toutefois à cause des séquelles d’encéphalite… J’ai porté des gouttières de plâtre entourées de bandes velpo pour redresser mes jambes tordues. Je patientais sur un petit banc dans un appartement humide et sombre. Je n’aimais pas certaines visites de dames effrayantes qui me parlaient doucement. Je craignais le pire. Une hospitalisation ? Encore ? Je me souviens du blanc ultrablanc des céramiques de salles de soins, des odeurs de lavande et d’éther. Je me souviens du propre et de l’absence des yeux parentaux. Le blanc a déteint sur les gestes de ma mère et fut pris comme symbole de perfection dans la prévention des maladies infantiles. Jusqu’à épuisement. De ma petite enfance ne culminent que les bruits de cuisine et de salle de bains et le parfait apaisement des nuits dorlotées par l’amour parental. Après trois ans , ça change…

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

22 commentaires à propos de “# cycle été # 00 | Prologue | Peter Handke | Kilomètre zéro…”

  1. « J’ai été pressée de sortir de son ventre. Il y avait beaucoup de bruit dehors et peut-être de la musique. Je voulais voir à qui j’avais l’honneur d’appartenir. Je voulais être présentée. J’ai glissé comme une grenouille entre les mains d’une sage-femme. Vous avez une fille, madame ! – C’est très bien, mon mari sera content ! » Glisser comme une grenouille l’image dit si bien cette arrivée précipitée … cette curiosité en germe : Voir !  Savoir à qui j’avais à faire ! Cet élan de vie.

  2. Bonheur à vous lire.
    Saisissement sur certains passages comme : « Ma mère s’est mariée en noir. Elle avait ses raisons ». Ou encore : « Je suis née avant terme et sans ongles, à la maternité près des arènes de taureaux. Ce fut prémonitoire. »
    Merci

  3. De la vie, du chahut, de l’amour, et cette écriture sans détour, une belle lecture. J’aime beaucoup: J’ai d’emblée été sage et peu demandeuse pour ne pas compliquer la situation.

  4. Double triple Merci ! Chères Nathalie, Marien,Françoise, Isabelle, Laure et Brigitte. Dans ce gynécée qui sait, devenir davantage femme écrivante me paraît jouable. Si « je » n’avais pas écrit ce bout de texte au kilomètre zéro, je n’aurais jamais trouvé l’intérêt de ce prologue en habit de préliminaire à l’activation de mes vieux neurones de bavarde séditieuse. J’ai signé pour les quarante jours et comme à ma naissance, je vais laisser venir la suite en écarquillant les oreilles et les yeux. J’aurai envie de faire des blagues et des fugues aussi.Mais on va parler des autres très vite je crois.

  5. Bonsoir Marie Thérèse
    « Je n’ai pas choisi mes parents. Eux non plus. Ils se sont choisis pour que j’existe. Ils n’ont pas prévu ma naissance. Moi non plus »
    Une sacrée entrée ! Et un contexte, les séquelles de tuberculose … et « les nuits dorlotées par l’amour parental « Tout un chemin déjà là

    • Dix ans avant la loi Neuwirth en France sur la possibilité de régulation des naissances ( permis de contraception) et la loi Weil sur la possibilité d’interruption volontaire de grossesse plus de vingt ans plus tard, nos mères et nos géniteurs avaient droit aux « pochettes surprises » genrées. Loterie infernale pour les femmes engrossées et assignées à résidence dans leur foyer.Elles ne se proccupaient pas trop de nos vies intra-utérines , l’haptonomie n’existait pas , ni l’échographie, et moins encore l’amniocentèse pour la détection des anomalies génétiques…aussi leurs récits commençaient souvent à l’accouchement et tout ce qu’il comportait de violence pour leur corps. Qu’elles réussissent malgré cela à nous aimer relève pour moi du miracle. Nous ne venions pas d’une planète lointaine, nous nous faisions à cette capsule étrange et nourricière de plus en plus étroite. Plus tard nous avons voulu savoir. Que de non-dits et de soupirs dans leurs voix unanimes… Que de courage aussi, même si l’on garde en tête l’existence de mères « insuffisantes » ou maltraitantes… A qui la faute ? C’est une chance d’avoir eu une mère « battante » et surtout moqueuse envers le destin. Aujourd’hui, les jeunes ont à disposition leur échographie prénatale, leurs parents connaissent à l’avance leur sexe et leurs ont parlé avant la délivrance. Cela change beaucoup les représentations que l’on se fait de la vie intra-utérine, on devient peut-être plus exigant.e.s vis à vis des conditions de mise au monde. Avec la procréation assistée et les manipulations frigorifiées de paillettes cela devient vertigineux. Je ne regrette pas d’être née pendant les 30 glorieuses où l’on ne savait rien de ce qui se tramait, mais qui de toute façon, était mieux qu’avant. Le chemin, chère Annick, est aussi collectif. Merci pour votre passage sensible aux formulations synthétiques. Ce que le style de Peter Handke favorise. « Les faits, surtout les faits » loin des élucubrations même si elles sont parfois nécessaires pour combler les trous des mémoires…

  6. Non choix, déterminisme, la raison laissée aux autres. La légèreté de la narration aussi. Et le retour sur soi de cet oeil libéré du temps. Un texte fort plein de combativité. Merci Marie-Thérèse.

    • Merci Jean-Luc. L’avantage quand on écrit à distance des faits c’est de s’offrir plusieurs versions personnelles des histoires de vie. J’aime cette énergie que donne la gratitude vis à vis du passé et des personnages imparfaits (dont moi) qui le composent. Je ne garde que les indices de la chance traversée en bottes de sept lieues. Et je m’amuse un peu.

  7. Merci pour ce texte, Marie-Thérèse. Que d’échos en similitudes et contrastes dans nos deux textes. C’est drôle !

    J’aime beaucoup cette façon d’embrasser le grave et le léger à travers des phrases brèves au rythme souvent sautillant, qui semblent faire un pied-de-nez au destin. Une ribambelle de personnages autour de cette petite fille, parfaitement croqués bien qu’esquissés.

    Un passage que j’aime : « Je suis passée de bras de mère à bras de père et j’ai été rassurée. Il allait assurer. »

    • L’écriture permet de vérifier les choses contenues dans nos têtes. On ne les montre que lorsqu’elles sont suffisamment éloignées pour les banaliser. Oui, la vie est un risque que nous prenons à la suite de celles et ceux qui nous précèdent et cette chaîne continue de renouvellement des destins nous rend solidaires dans le meilleur des cas. Bien sûr, il y a des défaillances dans le tissu familial et social qui nous font des frayeurs. Une fois passées, l’ancien bébé prend sa vie en main et celle de quelques autres. Oui, on sait qu’il faut assurer et rassurer… Merci Emilie !

    • Quand le père prend sa place en période de « relevailles » , le gros du souci maternel s’allège (déjà trois bambins d’âge rapprochéet beaucoup de fatigue accumulée) . Mais au delà, c’est le bébé qui se dirige vers ce qui peut l’aider à faire une lecture fiable de son environnement de soins dans l’ immédiat. Je suis admirative de l’endurance parentale de cette époque avec aucune aide de proximité.

  8. Emportée par la fluidité du texte j’ai été arrêtée par une phrase : « ce fut prémonitoire » qui m’a quelque peu inquiétée jusqu’à la fin du texte..Rassurée par la chute, j’ai pu prendre plaisir à une seconde lecture

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