NANTES/PARIS – TGV 11h02
Les suspensions moelleuses s’accordent au bruit des mécaniques. Le train avale des paysages. Le film est saccadé. La campagne est parfois désolante.
Le type là, à deux sièges de moi, dans le sens inverse de la marche.
Je lâche mon livre pour l’observer.
Mastique un chewing-gum. Martèle frénétiquement sa tablette. Rumine sa gomme comme si ça l’agaçait. Il n’est tout de même pas obligé de le faire ! Mâchoires comme des étaux, activation intensive. Nerveux ? Impatient ? Regard accroché à l’écran, mains mobiles et turbulentes. Absorbé, il l’est. Je me fais voyeuse sans gêne.
Au Mans, il descend. Il a laissé son sac à dos sur le siège. Je regarde cette place vide, ce sac à dos noir ordinaire, les turgescences de la toile.
Voila, on est foutu. La bombe va exploser. Je suis en première ligne. Je me prends tout en pleine face c’est sûr. Je vais mourir dans ce TGV… Deux minutes d’arrêt. Il revient à sa place juste avant le coup de sifflet qui annonce le redémarrage. Il sent le tabac, il pue la clope. Ça fleure jusqu’à mon siège.
Reprend sa tablette, remet ses écouteurs. Il n’a plus de chewing-gum.
Je reprends ma lecture. Vivante.
NANTES-PARIS – TGV 10h02
Les pilonnes électriques brouillent le ciel et les ondes. L’air est tourmenté. Ça fonce dare-dare. C’est ici que le train s’envole, détruit le son, casse mes résonances.
Croquer c’est voler ?
Toi, là,
Tu vas vite et tu dors,
Assoupi à trois cents à l’heure
Sans la moindre inquiétude
Tu t’abandonnes magnifiquement
Nous sommes deux étrangers dans une même trajectoire.
PARIS-NANTES – TGV 13h06
Le volume des nuages est approximatif. C’est grand, impossible à saisir. Nous filons grande vitesse dans un bruit de fusée. J’ai pris une place tranquille. Une dame tousse affreusement. Je ne vois pas son visage. J’entends des bronches meurtries qui voudraient cracher quelque chose. J’imagine une trachée cramoisie, endolorie, une gorge en souffrance, une fièvre ascendante. Je pense qu’elle tousse dans un mouchoir, dans son coude ou quelque chose comme ça. Je me colle à la vitre. J’ai peur qu’elle m’envoie ses saloperies dans mon couloir de respiration. Je ne veux pas mourir à cause du H1N1, de la grippe espagnole, asiatique ni de celle de Hong Kong. Je ne veux pas mourir aujourd’hui.
PARIS – NANTES – TGV 14h09
Les trains ne sentent rien, ni le fer, ni la caillasse ni même les parfums du voyage. Hermétisme.
Croquer, c’est voler ?
Toi, là
A l’abri sur ce siège maternant
Confiante et détendue
Si loin des bruits du monde
Si loin de moi tu crois
Ne bouge pas, je te croque.
NANTES – PARIS – TGV 13h06
Il y a toujours des gens qui montent et d’autres qui descendent.Il s’assoit à côté de moi côté fenêtre. Je préfère les côtés couloir, je me sens plus libre de mes mouvements. Je peux aller au toilettes ou au wagon bar sans me sentir coupable de déranger quelqu’un. Il sent le tabac froid et la bière. Il branche son ordinateur et balise son espace de sorte que la housse fait un rempart. Je ne vois rien de ce qu’il regarde.S’il se cache comme ça, c’est que ça doit…C’est qui ce type ? Moi j’écris sur mon petit carnet vert. Je consigne. J’ai trouvé des trucs pour faire barrage aussi, un livre, ma bouteille thermos, mon étui à lunettes. Normalement, il ne voit rien de ce que j’écris. On fait semblant de rien.
Passé Angers, il s’endort. Son nez pique vers son ventre. Le film déroule. J’en profite pour regarder l’écran. Science fiction. Pour un peu je serais déçue. Quand il se réveille, il semble surpris d’être là. Il rote. Puis range ses affaires. Il va descendre à la prochaine. Je vois très bien qu’il a dormi. Une petite mèche rebelle, déterminante s’impose. Il doit lutter contre elle, tenter de la maîtriser depuis des années. Il ne doit pas aimer cette mèche. Il ignore qu’elle reprend sa place initiale dès la perte de vigilance. Il n’y pense pas à son épi. Moi je ne vois que ça. Je reprends le fil de ma conversation.
Ils me plaisent bien, vos trains et vos croquis. C’est enlevé, précis et léger.
Merci Simone ! Parfois je croque à la vitesse du TGV !
J’ai adoré le début en fanfare, l’humour, les croquis, l’humour encore. Bref excellent. Merci
Merci beaucoup Anne, c’est fou ce que c’est réjouissant de lire ton commentaire ! Merci à toi