CROCHET TOIT



Il retient une ardoise au bord du toit, près de la gouttière. Un parmi d’autres, celui qu’on ne verrait pas sans un point de rouille à l’attache. Pointillé vertical qui dépasse en bas,  au milieu de l’ardoise, parmi d’autres pointillés bien rangés sur la longueur. Partie émergée de l’idée, de l’invention ingénieuse et nécessaire : en forme de petit saxophone dont le son serait la force de porter un petit morceau de temps rectangulaire.  Contributeur dans la couverture, signe de ponctuation incognito, entre ciel et terre, au-dessus des corps réfugiés à l’intérieur, ou des passants au-dehors, petit lien métallique entre volige et extérieur, squelette et ailleurs. Une pointe de solidité dans le grand désordre. Le  martellement dont il a fait l’objet quand le couvreur musicien du toit l’a fixé à l’endroit voulu, a laissé des traces invisibles : écho d’un galop régulier dans la lumière déclinante, ou petits pas des gouttes de pluie sur le toit. Répercussions.  S’il pouvait parler, il dirait la résistance au milieu de la tempête, la patience équitablement répartie entre tous les crochets, minuscule peuple des hauteurs scellant un pacte de protection. Il ne parlerait pas de ce qu’il voit, là où il est : rue qui descend vers les ombrages et lointain, habitant la douceur du gris-bleu dans le nid montagneux des ardoisières.  C’est de là que  vient la plaque grisée qu’il porte au-dessus de la mêlée, celle qu’il  maintient en pleine immobilité, poignée serrant fort le rectangle d’un carton à dessin qui est lui-même dessin parmi les dessins bien accrochés  formant en silence le toit.  

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

3 commentaires à propos de “CROCHET TOIT”

    • Je ne sais pas si le texte répond à la consigne mais je sais qu’à chaque fois j’accueille au plus près la proposition, et la laisse mûrir pour aborder la réalité en face et sentir ce qu’à partir de là l’écriture déclenche. Il s’agit pour moi d’une expérience profonde, et non d’un exercice formel. En adoptant la contrainte, telle qu’elle est énoncée –dans le foisonnement vidéo et dans les précisions en filigrane- je découvre un endroit autre, qui m’éloigne des contournements et m’oblige rigoureusement à entrer dans l’objet –dans tous les sens du terme. Cela génère une acuité, quelque chose qui se retrouve dans d’autres textes que je travaille –ou plutôt qui me travaillent – et ouvre des perspectives. L’infiniment petit, le quasi-invisible, l’objet qu’on ne voit pas ou plus est pour moi une puissante allégorie de l’intime qui n’a pas besoin du déballage pour transparaître et irriguer un texte. Après avoir été saisie par ce que figure l’objet, puis en écrivant les résonances telles qu’elles se manifestent, je retrouve dans la trace inscrite la présence-même, comme dégagée d’une sorte de gangue et c’est l’écriture qui se libère. Alors, ce n’est pas la bonne élève qui s’applique, c’est l’être qui, en confiance, et conscient des enjeux, fait un pas après l’autre, comme quelqu’un qui apprend, guidé par une exigence respectueuse de chaque liberté, à traverser un territoire ravagé.

  1. Merci merci pour ce texte qui me touche profondément (je ne sais pas encore pourquoi à tel point). Ecriture descriptive tellement sensible qui donne vie à ce que l’on ne voit pas et nous relie pourtant à tout le reste, grâce aux images notamment. C’est pour moi je crois une des fonctions essentielles de l’écriture, de la littérature. Je vais le relire encore et encore