C’est un de ces couloirs comme on n’en voit que dans les anciens appartements. A l’ère du loft, de l’open space et de la cuisine ouverte sur séjour, ils se font rares, détruits, aménagés, éclaircis. Ici, il est resté dans son obscurité initiale, tapisserie lourde, motifs d’un autre temps, auréolés des couleurs d’avant aujourd’hui ternies par les années et le tabac, vue chargée, obstruée, les petits tableaux en noirs et blanc brodés dans les métiers à tisser du coin s’alignent sur le papier peint dans un ordre presque militaire, sans souci de l’allègement. Derrière la porte d’entrée qui s’ouvre sur le couloir, un rideau lit de vin vient renforcer l’étouffement. A droite la cuisine tout aussi longiligne, on ne s’y croise pas, on s’y enfile, et puis de toutes façons, même quand il était encore là, vivant, elle y cuisinait toujours seule. Il attendait dans le salon que les choses se fassent, là , sur le fauteuil qu’elle ne jettera jamais, acheté en double, un chacun, inclinable électrique, cuir marron foncé, payé en 10 fois, chez But®, on pouvait bien se faire, pour une fois , un petit plaisir. Le petit napperon brodé protégeait depuis des années la table ronde qui jouxtait son fauteuil contre les traces de tasses à café ou de verre à liqueur. Verres rangées dans un ordre immuable dans le vaisselier hérité avec toute son obscurité de meuble en bois massif. Chaque pièce est bien cloisonnée, reprendre le couloir capitonné et tout au bout, à gauche, la chambre aux bois de lit presque noirs, éclairés par le jeté de lit orange à chenilles. Abats jours jaunis à franges sans mouvement, raides comme leurs corps, qui, avec les années, avaient mis de plus en plus de temps à s’allonger. Le crucifix comme unique décoration du pan de mur accueillant la tête de lit. Depuis qu’il était parti, la seule chose qu’elle avait ajouté était sa photo, là, entre la lampe à frange et ses cachets du soir, sur la table de nuit . Elle savait qu’il faudrait vendre, ou bien qu’elle mourrait avant, mais elle préférait nourrir le chat sans trop penser au jour où tout cela disparaîtrait.
Texte très touchant.
Oh merci, touchée en retour par ce commentaire..