Il fait son entrée dans le bureau. De l’extérieur il aurait juré entendre les éclats de voix familiers.
Pourtant le silence coule en chape. Les regards sont fuyant. Il écarquille les yeux jusqu’à se faire mal dans le but d’en faire des réceptacles à cette matière flasque, insaisissable qui l’entoure. Tout lui échappe, liquide entre ses doigts serrés. Jusqu’à la raison pour laquelle on l’exclue ainsi du groupe. Il peut affirmer sans mentir qu’il connaît toutes les personnes dans cette pièce. Pas intimement bien sûr mais ce sont ses collègues. Chaque matin il les salut de leur prénom et reçoit en retour une franche poignée de main. C’est ce rituel, sorte de passage de relais qui lui donne le droit de se trouver là.
Mais aujourd’hui la masse de ses congénères est aussi opaque qu’un banc de poissons. Masse mouvante, presque inquiétante qui se scinde, inaccessible, à l’approche du prédateur puis se reforme à l’identique quelques mètres plus loin. Les visages sont fermés, couverts de masques inexpressifs. Les corps tout en creux et en vagues. L’un se tient vouté sur son bureau le visage dissimulé d’une frange de cheveux. L’autre se déhanche dans un mouvement fluide presque difforme à son approche pour ne pas le saluer. Il n’a pas de prise, ni de bras tendu pour se raccrocher.
Il racle sa mémoire pour déterrer le geste maladroit la parole déplacée qui aurait pu blesser ou vexer. Cependant, il ne trouve rien.
Alors pour se donner une contenance, il cherche une place ou il pourrait s’appuyer, un trou aussi minuscule soit il pour se cacher et disparaître, se soustraire à la pression atmosphérique de cette pièce qui l’aplatit au sol. Chute verticale des gouttes de sueurs qui alourdissent son front et viennent s’écraser dans un bruit mat sur le sol.
Même le mobilier a l’air de lui en vouloir. Cette chaise par exemple: il jurerait que ses pieds sont tordus comme ramollis. Il parierait que s’il tente de s’y assoir elle va tanguer, pencher puis s’affaisser. L’éjectant vers le sol dans l’hilarité générale.
Il voudrait se sauver, tourner les talons et fuir cette mascarade. Cependant son cerveau est paralysé, désespérément vide. Alors il reste planté là, les bras ballants, la bouche honteuse et l’œil mou. Bête. Inutile.
Merci, Géraldine, pour cette évocation du superbe été 2020 sur Tiers-Livre.
Et Merci pour ce texte, où je me retrouve tellement !
Merci à vous Helena, oui on tous vécu cette situation oh combien inconfortable …
Toute une histoire déjà en germes.
C’est vrai il y a de quoi creuser, alors que ça ne m’apparaissait pas du tout en l’écrivant: François Bon est un magicien!
Bonjour Géraldine,
Entre burn-out et joie des open-space, on comprend la sidération, on souhaite à ce personnage un peu d’air,
Cat
Merci Catherine! Oui sujet d’actualité
Rétroliens : #L2 Je jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité – Tiers Livre, explorations écriture