Couches de terre
ST1
Sous les pieds tout se dérobe, se creuse, s’écarte. Ruines de terre. Éviscération du sol. Pris dans les bras de la terre. Dans son antre. L’ambre de l’éventrement de la terre, de son écartèlement. Toujours cette envie, cette nécessité de retourner la terre, de faire jaillir le dessous, de creuser le sous-sol, de faire remonter de l’en-dessous les couches d’histoire, chercher les preuves d’un avant. Le besoin, pourrait-on parler de pulsion, de contempler les terres labourées aux lourdes mottes rougies entre les sillons laissés par la herse, comme un dedans mis à respirer au dehors.
ST4
De la glaise des temps comment s’arracher?
ST2
Adam, poussière tirée de la Adama. pétri de terre et d’eau. De la glaise faite homme. L’homme, poussière de la terre, est modelé avec de la terre et de l’eau. L’homme appartient à la terre, il vient du sol de la terre, adama en hébreu, dont la racine adom veut dire rouge. L’homme, le glébeux, le glaiseux, l’homme rouge, l’homme terre..
ST4
L’humus ce qui dessus recouvre ce qui fut inhumé. L’éphémère de ce qui fut.
ST2
L’homme argile. Tablettes d’argile gravées, à l’aide d’un calame, de caractères cunéiformes. Matière noble grâce au limon fertile déposé par l’eau des fleuves. Et les mythes se croisent, se superposent: dans certaine tradition, on imagine que l’homme a été créé à partir d’argile mêlée au sang et à la chair d’un dieu immolé afin qu’un esprit soit dans l’homme, et que cet esprit soit là pour le garder de l’oubli .
ST3
Ce ne sont que des pas. Ils se posent sur la terre. Puis s’arrachent et se posent à nouveau. Chaque jour, ils font le tour de cette enclave, toujours dans le même sens. En haut, dans la tête, cela médite, cela pense, cela écrit peut-être. Mais le pied lui heurte le sol, évite une pierre, glisse sur l’herbe humide, dérange quelque insecte sans même la conscience. C’est de la terre que cela monte, l’herbe, l’arbre, la pierre, le mot. Et bien tenir la corde qui relie dans ce carré de terre. Ce n’est pas un verger, c’est à peine un jardin empli d’un fouillis d’herbes, d’un tremble, de vieux pruniers aux branches qui se brisent, un sapin dans un coin, quelques muscaris lorsqu’il est temps qu’ils vivent, une tombe, deux lilas, un mauve, auprès des cendres en repos. Et l’on n’en finit pas de tourner dans ce presque cloître. La régularité du pas a tracé une sente, c’est le fil rouge à suivre pour se recommencer. Tout autour un muret de pierres où grimpe le lierre et s’accroche le lichen. Je marche dans les traces de celle que j’étais et prépare celle que je serai. Le pas se fait plus lourd, plus lent, il enfonce la terre, s’enfonce, résiste encore un peu.
ST4
Les strates sur les talus dévoilées: un livre d’histoire.
Il est très beau ton texte, Solange, il vient de loin. Merci.