1 —
Une courbe pure que vient juste rompre un petit monticule abrupt au sommet plat. Il fait sombre, presque nuit, juste une frontière, un contraste, sans matière, entre ce que je sais être ta peau et le mur. Fermer les yeux un instant, patienter un peu. Les rouvrir. Le grain apparaît, diffus, sur la colline farinée, plus claire que le sombre ressaut qui se détache sur le gris du mur et se soulève régulièrement, calmement, dans ton souffle. Fermer les yeux un instant de plus, patienter encore. La colline enfin diaphane, chair, veinée de la fine dentelle bleue qui l’irrigue et de sa corolle, collier d’irrégulières perles brunes couronnées de fines sculptures. Paysage. Celui que j’observe du creux de ton épaule chaque matin en repoussant le drap. Fermer les yeux, patienter, rester sage.
2 —
La colline enfin diaphane, chair, veinée de la fine dentelle bleue qui l’irrigue et de sa corolle, collier d’irrégulières perles brunes couronnées de fines sculptures. Paysage. Juste un relief qui se dessine…
Ou raisin, pomme verte, cerise, citron, abricot, poire, papaye… ou pastèque.
C’est ainsi chez Pomm’Poire, boutique de lingerie fine, qu’on évoque les formes des fruits qu’on habille de dentelles et soutient de corbeilles.
D’autres invoquent la nature, la géographie, les objets : goutte d’eau, larme, volcan, dune, Est-Ouest, cloche… évitant les adjectifs banals ou blessants : bien dessiné, petit, affaissé, tombant, rond, ferme, flasque, haut, saillant, ridé…
Très curieusement ce à quoi tout cela fait référence, cette richesse de forme, de couleur, de nature, a très peu d’occurrences dans notre langue (académique t même argotique) car, pour décrire notre anatomie, nous préférons les métaphores. Mème Flaubert : « Et c’est qu’il y a, monsieur, tant d’espèces de tétons différents. Il y a le téton pomme, le téton poire, le téton lubrique, – le téton pudique, que sais-je encore ? […] Il y a encore le téton mamelle, pointu, orgiaque, canaille, fait comme une gourde de jardinier à mettre des graines, mince de base, allongé, gros du bout. […] Il y a le téton de la jeune fille qui arrive de son pays, ni pomme, ni poire, mais gentil, convenable, fait pour inspirer des désirs et comme un téton doit être. […] Il y a le bon téton de la nourrice, où s’enfoncent les mains des enfants qui s’écorent dessus, pour pomper plus à l’aise. Sur lui s’entrecroisent des veines bleues. On le respecte dans les familles. Il y a enfin le téton citrouille… »
(Gustave Flaubert, lettre à son ami Louis Hyacinthe Bouilhet du 10 février 1851)
3 —
Fermer les yeux, patienter, rester sage. C. … …
Cet atelier d’écriture « Pousser la langue » m’invite à s’affranchir de mes écrits précédents.
1er jour
Non. J’ai résisté, souhaitant tenter de maintenir un univers particulier autour des propositions de François Bon et d’y ajouter la contrainte d’une écriture longue. Quel objet prendre ? Un qui soit mien ? Non ! Je voudrais rester proche des familiers du personnage qui s’est subrepticement et mystérieusement imposé à moi dès le premier jour : C.
Cet objet sera donc le sien. Or de C. le mythe n’a retenu que le séducteur. D’où le choix — que je peux facilement partager avec lui à trois siècles d’écart — de quelque chose que je tente de camoufler dans ce « paysage » mais que trahit vite le « drap ».
2ème jour : Une courbe pure que vient juste rompre un petit monticule abrupt au sommet plat. Cherchons donc ce que d’autres en ont fait que ce soit dans la littérature ou les affaires. Force est de constater que, dans les deux cas, la métaphore domine et tourne presque invariablement, en prose comme en poésie, autour du fruit — est-ce à cause du « fruit défendu » ? — plus que vers le paysage — est-ce parce que sa contemplation amène vite, trop vite, à sa consommation ?
C’est alors, qwantisant, que je suis tombé sur cette lettre de Gustave Flaubert. Mais voilà, celle-ci dévoile que ce n’est pas d’un objet qu’il s’agit, mais d’un objet de convoitise, le sein, son sein, et plus encore son téton (qui jusqu’au 19ème siècle semble signifier autant le sein que l’aréole) et à travers lui de nécessaires conquêtes, les femmes, bien loin du creux de Son épaule que chaque matin j’observe. Lettre bien trop longue pour être annexée et qu’il me faut donc amputer.
Chirurgie donc opérée par des […] qui me permet ainsi, par omission, de maintenir l’illusion d’un texte respectable.
3ème jour : Atelier d’écriture. Jusqu’où peut-on aller ? Que permettront les lecteurs, même si, sur le Net, j’échappe à la lecture publique. Que ferai-je du texte complet ? Dois-je rester dans la tendresse ou laisser éclater le caractère sulfureux de C. ?
Supprimons donc quelques pudiques […] de la citation précédente. Dans cette lettre destinée à un unique ami intime, Flaubert, lubrique, pousse non seulement la langue mais aussi repousse la morale :
« Il y a encore le téton mamelle, pointu, orgiaque, canaille, fait comme une gourde de jardinier à mettre des graines, mince de base, allongé, gros du bout. C’est celui de la femme que l’on baise en levrette, toute nue, devant une vieille psyché en acajou plaqué. » ou encore « Il y a enfin le téton citrouille, le téton formidable et salopier, qui donne envie de chier dessus. C’est celui que désire l’homme, lorsqu’il dit à la maquerelle : « donnez-moi une femme qui a de gros tétons. » C’est celui-là qui plaît à un cochon comme moi, et j’ose dire, comme nous. »
Que puis-je m’autoriser ici ? C. au 18ème siècle comme Flaubert et tant d’autres auteurs au 19ème siècle s’offraient tous les abus, souvent misogynes et épicuriens, presque toujours libertins.
Voilà, il me reste désormais à choisir. Jusqu’où aller ?
La colline enfin diaphane, chair, veinée de la fine dentelle bleue qui l’irrigue et de sa corolle, collier d’irrégulières perles brunes couronnées de fines sculptures. Paysage. Celui que j’observe du creux de son épaule chaque matin en repoussant le drap. Fermer les yeux, patienter ?
C. resterait-il sage ?
4 —
Une courbe pure que vient juste rompre un petit monticule abrupt au sommet plat. Il fait sombre, presque nuit, juste une frontière, un contraste, sans matière, entre ce que je sais être sa peau et le drap. Fermer les yeux un instant, patienter un peu. Les rouvrir. Le grain apparaît, diffus, sur la colline farinée, plus claire que le sombre ressaut qui se détache et se soulève régulièrement, calmement, dans son souffle. Fermer les yeux un instant de plus, patienter encore. La colline enfin diaphane, chair, veinée de la fine dentelle bleue qui l’irrigue et de sa corolle, collier d’irrégulières perles brunes couronnées de fines sculptures. Paysage. Celui que j’observe, chaque matin au réveil de Mademoiselle, échappé des dentelles, cœur de marguerite s’échappant d’un chiffon propre d’œillet. Entrouvrir les volets, dévoiler brun téton, sombre aréole, frais croissant de lune que dévoile son bras qui saisit l’oreiller.
Mademoiselle ?
La retourner lentement face à la lumière.
Tendres Gémeaux qui m’éblouissent.
Refouler mon désir. Repousser le séducteur qui réside en moi.
Elle cligne des yeux, me sourit, tarde à cacher ses seins qui frémissent… Diablesse…
C. C’est toi ? C. !
5 —
Chut !
Ma dentelle
ma corolle
ma colline
ma fille
C.
n’attendra pas que l’impudique éclose.
osé, courageux, jusqu’où peut-on aller ? N’hésitez pas, je reviendrai vous lire.