Soutenir le vide…
Soutenir le vide du passage dans le mur, soutenir le vide de la description, l’assumer, l’asseoir dans le banal, l’accepter dans toute sa banalité, dans ce qu’elle est au fond d’elle, une description aussi banale que possible, qu’il me serait possible de l’écrire, décrire ce lieu sans émotions, sans ressenti, pour le garder vierge, léger, tel quel, linteau de granit pour soutenir le vide du passage dans le mur, blocs de granite irréguliers assemblés au moyen de joints aussi propres et nets que possible.
Linteau de granite pour soutenir le vide du passage dans le mur, blocs de granite irréguliers assemblés avec des joints propres et nets qui trahissent la rénovation récente. A l’extrémité du linteau est fixé on ne sait par quel processus non visible un panneau métallique carré au fond peint en bleu avec un encadrement de peinture blanche qui attire le regard car c’est un peu sa raison d’être, il est en hauteur à cet endroit précis pour souligner l’affichage, le souligner pour qu’il soit repérable de loin, encadrer de blanc son intérieur sur fond bleu : deux silhouettes blanches. Deux cercles pour les têtes et elles sont séparées du corps par un espace bleu. Corps de gauche avec deux petites pointes de chaque côté aux deux tiers du corps et elles signifient corps de femme et leur absence dans le corps de droite signe le masculin. Côte à côte et figées, réduites à leur plus simple expression, silhouettes universellement reconnaissables. Au-dessus du linteau une applique circulaire éteinte le jour. Dans le vide en-dessous un pan de mur en crépi blanc fraîchement repeint dévoile peu de l’intérieur à part un espoir de propreté.
Accointance en français, ami ou faux ami d’acquaintance with description, aucune affinité avec ce qu’écrit Gertrude Stein dans Autobiographie d’Alice Toklas qui écrit par la bouche d’Alice Toklas que Gertrude a dit que ce n’est pas banal de chercher à décrire un paysage en étant aussi banale que possible. Aucune affinité avec la description de ce lieu d’aisance qui ne peut être décrit comme un phénomène naturel, une chose existant en soi, aucune affinité avec ce genre de description, pas plus qu’avec cette façon de décrire un objet du mobilier urbain, même si décrire ainsi un lieu d’aisance public est un exercice banal comme est banal l’objet de la description. Ça tient du relevé de géomètre sans les chiffres. On pourrait bien d’ailleurs agrémenter ce texte descriptif d’un relevé de cotes au risque de le sortir du banal. C’est qu’il faut être prudent. Alors tout ce que je peux c’est un texte sous contrôle, qui ne risque pas d’échapper à celui qui l’écrit, de le déborder, un texte fermement tenu en laisse et aucun mou ne serait laissé entre le cou et le poignet. Un texte sans personnalité que le lecteur aurait le droit de sauter. Le voici enjambé et rien de la compréhension ne s’en trouve modifié. Imaginez le monde bouleversé parce qu’un détail a été ignoré : quelle porte possèdent ces toilettes publiques ? Une porte à double battant comme dans les saloons, une lourde porte en bois pleine ou inexistante ?
Soutenir le vide.
Ecrire ainsi pour moi c’est comme faire des mathématiques, ça garde les angoisses muselées, enfermées à double tour au cas où, hors de vue et de portée, en sécurité on peut s’atteler à cette tâche indéfiniment, il restera toujours un objet banal à décrire banalement, c’est astreignant, nécessite une attention totale, c’est un peu inutile et monotone, fastidieux comme réciter des prières avec un chapelet.
ah ben j’ai bien tout lu jusqu’au bout, Anne, en dépit de ce que vous pensez ! et avec plaisir en plus et je comprends bien vos interrogations sur ce type de proposition, et comme je n’ai pas bien compris non plus de quoi il retourne, je laisse faire. hier pris plein de photos dans mon pâté de maisons en recherche d’accointance et vu mon quartier comme jamais je l’avais vu, alors, restons ouverts et voyons ce qui vient. J’ai adoré ce vide que le linteau soutient et le masculin défini par l’absence ( ah! ah! ça change !)
Merci, Catherine. J’aime votre perspicacité quant au masculin défini par l’absence et qui sans vous serait resté ignoré de moi. Oui, c’est drôle… Heureusement que vous m’avez lue. Oui, regarder avec un appareil photo, il faudra que je m’y mette car cela doit changer le regard comme vous le suggérer. Merci
j’ai tout lu aussi jusqu’au bout et avec plaisir. pour la consigne, je ne sais pas bien plus que vous, mais la banalité n’y est pas forcément attachée, je crois plutôt l’extériorité, l’extérieur à nous, un écrit qui ne puisse se rattacher à rien de nous, mais avoir confiance que la langue peut surgir aussi de ces éléments extérieurs, je n’ai pas assez d’expérience en matière d’atelier, c’est le premier de ma vie, je ne sais pas encore où nous allons, et je ne suis pas sûre d’aller dans la bonne direction, même si je commence à sentir quelque chose, mais cette contrainte imposée créée justement une sorte de déséquilibre qui fait naitre des choses, comme votre texte comme d’avancer et soudain devant le vide et hop se rétablir se remettre droite et décrire ce que l’on voit hors de nous. enfin. je me laisse aller. merci du texte
Comme votre commentaire est éclairant, Jeanne ! A vous lire tout devient simple et vous donnez des mots auxquels se raccrocher. Vous m’avez donné envie de continuer à chercher plus loin dans cette voie. Vous avez tout à fait raison. Pour ce qui est de la banalité, c’est Gertrude qui l’énonce ainsi et la revendique dans Autobiographie d’Alice Toklas. J’avais commencé par recopier l’extrait. Du coup je me suis aussi raccrochée à ce mot banalité. Mais extériorité oui me parle mieux. Un très grand merci pour cette confiance que vous me donnez. J’ai aussi lu votre commentaire sur Magie de l’objet. Vous exprimez tellement bien ce que j’avais ressenti et de façon tellement détaillée. C’est très enrichissant. Merci