Ce dicton avec la jument et l’échine. Sais pas d’où ça vient. Pourquoi savoir ? Quoi sert savoir ? Du Japon. Possible. Pas plutôt arabe ? Ou chinois ? Peut mener loin comme ça. Le robinet goutte. Heureusement les choses gardent le sens de l’à-propos. Hic et nunc sont sur un bateau. Nunc tombe à l’eau qui est-ce qui reste ? Une pièce vide. Non. Très peu meublée. On entend bien les gouttes. On peut prendre le temps d’entendre les gouttes tomber l’une après l’autre. Alors ? Quoi ? Ici. Un lit. Une table de coiffeur avec plateau en marbre. Vraiment pas où cela. Mène. Viens juste d’entrer. Juste. On verra. On verra, on verra… Pas sûr. Pas de défaitisme prématuré. Oh un chat. Là. Qui passe. Où ça pas vu. On entend une musique au loin. Derrière les gouttes. Attends. Non. Rien. Le chat miaule. C’est un saxophone. Non. C’est un chat. Non, c’est un saxophone. C’est Charlie. Le chat s’appelle Charlie ? Non, le chat s’appelle « oiseau ». Ça ne mène à rien. Non. Il n’y a pas de porte. On peut sortir par la fenêtre. Mais c’est risqué. Dehors, il y a la guerre. Ah oui. La grande ou la petite ? Les deux à la fois. Ah oui. Quoi ? La musique c’était ça. Possible. Bon. Mon père disait comme ça « bon ». Sans raison, pour se donner de l’élan. Surtout quand ça n’allait pas. Logique. C’est tout ce que vous avez à dire sur votre père ? Mon père a été malade toute sa vie. Il est mort ? Oui. De sa maladie ? Non. Vous êtes triste ? Non, j’ai peur. Je voudrais sortir. Ça ne fait que commencer. La guerre ? J’ai eu un chat. Dans le temps. Lequel ? Le temps où j’ai eu un chat. Je ne sais plus. J’ai cru être enfant un jour. Mais j’étais déjà vieille. Je me voyais comme aujourd’hui me souvenant de moi enfant. Souvent je me souvenais de moi. Ce n’était pas très pratique. Pourquoi ? Pour vivre. Heureusement, maintenant, plus de problème. Pourquoi ? Je disais ça comme ça. La vie. Vivre. Plus de problème. Pourquoi ? Oh, vous savez bien. Non. Mais si. C’est que c’est. Ah. Oui. J’oubliais. Je me suis perdue. Voilà où ça mène. C’est le chat. Quoi ? Qui m’a perturbée. Oui, et cette histoire de jument. Je vous demande pardon ? Sur laquelle vous vous échigniez. La fenêtre s’ouvre brusquement. Enfin. Qu’est-ce que ça change ? C’est la guerre, c’est nouveau. La guerre, nouveau, vous vous fichez de moi ? Il fait plus froid maintenant. Non. Il y a un courant d’air. Non, c’est la coiffeuse en marbre qui donne cet effet. Si vous le dites. Je sens l’air. L’air me traverse. Les rhumatismes. Ils vont bientôt défiler. Les chars. La fenêtre donne sur l’avenue, d’après mon souvenir. Mais peut-on se fier à votre mémoire ? C’est pratique les rhumatismes. Pour connaître l’anatomie. Mais ça arrive trop tard. Enfin je trouve. Parlant de chars. J’en ai vu des chars. Des défilés. Avec toutes les invasions qu’on a eu. Au début, de simples charrettes. Tirés par des chevaux. Revoilà la jument. Où ça ? S’échinant à tirer le char. Arrêtez de vous foutre de ma gueule avec votre jument. Un moment de silence. Tandis que maintenant. C’est autre chose. Oui. C’est plus lourd. Plus sourd. Plus lourd, surtout. On entend du jazz. Et ils vont où ces chars, après ? Plus loin. Et encore plus loin. Ils font le tour de la terre ? Non. Ils s’arrêtent avant. Comment ? Les conducteurs ne sont pas éternels. Sans compter ceux qui les retardent en se jetant sous leurs roues. Ils finissent par s’enrayer. Mais en attendant, ils vont loin. Et plus encore. Ils écrasent. Ils sont beaux. Vous avez la larme à l’œil. J’ai moi-même conduit un de ces chars. Pour tout vous dire, je suis né dans un char. Mon père et ma mère se sont rencontrés dans un char. S’y sont mariés. Y sont morts. Non. Mon père est mort écrasé. Ma mère conduisait. Elle s’en est voulu toute sa vie de veuve. Une vie heureusement courte. Après sa mort, j’ai pris le relais. Le volant. Les manettes. Mais vous n’êtes pas mort dans ce char. Si. J’y suis mort plusieurs fois. Un nombre incalculable de fois. C’était très répétitif. La mort peut être un moment très difficile à passer quand elle se produit aussi souvent. On entend plus le jazz depuis quelques phrases. J’ai cru entendre un chat. Il n’y a plus d’animaux depuis des siècles. Heureusement que vous avez une excellente mémoire. Mon arrière-grand-mère me faisait faire une cure de myrtilles tous les étés. Ce n’est pas pour les yeux les myrtilles ? C’est surtout une bonne purge, si vous voulez savoir. Non. Je ne veux pas. Pour qui me prenez-vous ? Il faudrait passer par la fenêtre. Pourquoi ? On ne va pas rester là à attendre qu’ils arrivent. Qui ? Les militaires. Ils vont sortir de leurs chars ? Bien sûr. C’est la deuxième phase. Primo le défilé. Secondo le sac. Le sac ? Le saccage. Ah. Je croyais. Vous êtes inculte. Je n’ai pas eu la possibilité de m’instruire au-delà du troisième cycle. Ah. Excusez-moi. Il fallait le dire plus tôt. J’ai honte. Mais non. Je n’aurais pas dû dire cela. C’est ma faute, j’aurais pu le préciser tout de suite. Cela déséquilibre le dialogue. C’est sûr. Je ne vois pas un chat. Mais méfiance, les militaires savent très bien se dissimuler. Comme les ninjas ? Vous connaissez les ninjas ? Oui. Vous voyez, vous n’êtes pas inculte, je retire ce que j’ai dit. Oh merci. J’aime beaucoup la culture japonaise. Oui. Pas ma tasse de thé. Détonation. Thé. Détonation. Arrêtez. Détonation. Quoi ? De le dire. T-H-É. Quoi ? Vous pensez que. Ah. Ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah . En tous cas, vous me faites rire. Et ça, dans tout ce… pas comment qualifier… c’est toujours bon à prendre. J’ai cru. Vous êtes naïf. C’est la première fois que vous venez ici ? Je crois, oui. Non. Il me semble que je reviens ici sans cesse. Comme si j’étais lié par une corde invisible. Une longe. Un cheval au pré. Ah non. C’est vous qui vous échinez sur cette jument japonaise. Assez de niaiseries chevalines. Je n’en ai pas pour longtemps, alors permettez, j’aimerais bien me passer de vos divagations équines. L’heure est grave, cela ne vous effleure même pas ? Quelle heure ? Je ne sais pas précisément, l’heure en gros. Vous êtes d’un tatillon tout d’un coup. Vous voyez cette fenêtre ? Pourriez-vous m’y pousser ? Oui. Vous me feriez bien plaisir. Mais pas tout de suite. Pourquoi ? Je voudrais d’abord savoir où cela mène. S’échiner comme ça. C’est de la folie. Je connais un proverbe japonais. Chut. Attendez. Je crois que je le connais aussi. Pas possible. Si. Ce n’est pas un proverbe, c’est un haïku. Allons bon, vous délirez. C’est la fenêtre. Je vais la fermer. Non.
Une drôlerie de bout en bout. Encore encore svp.
Merci Louise ! alors ça, ça stimule !