C’est le matin tôt. Personne dans la cuisine. Sur la table basse, au milieu de cette surface vide, dans un petit récipient en porcelaine, un beignet. Juste là, posé, présent dans sa forme la plus simple. Sans doute encore chaud. Alors elle attend. Elle attend de loin, assise sur un coussin, les jambes repliées, dans l’atmosphère indescriptible de ce moment insolite. Elle attend que le souvenir remonte, tout en le tenant à distance, pour lui laisser le temps de cheminer, de se reconstituer, comme s’il lui fallait observer un rituel, la rassurer, écarter le présent et la replonger dans un ailleurs déjà visité. Maintenant, elle sait, elle l’a reconnu, cette petite chose aux contours parfaits, c’est un dorayaki. Une merveille de saveurs veloutées. Dans son souvenir, c’est comme un éloge à la lenteur qui lui revient.
Un jour, ou plutôt une fin de nuit, une odeur subtile de cuisine l’avait réveillée au seuil d’un rêve dont elle ne connaitrait jamais les contours. Elle s’était levée, rapprochée à pas de loup de la cuisine et elle avait observé T. préparer l’anko, la pâte de haricots rouges sucrée, suivi ses gestes comme un ballet minutieusement chorégraphié, précis, harmonieux. Ici, pas besoin de mots pour nommer la scène, un autre langage évoluait dans la magie des casseroles comme un rituel initiatique. Ici, la cuisine est un art où un plat réussi allie saveur et esthétique, s’apprend avec les yeux et le cœur. Au fond du récipient, les haricots azuki subissent un rituel scrupuleux cadencé par des rinçages, égouttages et des cuissons précises les rendant souples et tendres. Ces étapes sont capitales. La spatule en bois œuvre avec la précision d’une baguette de chef d’orchestre. Elle se promène au fond du récipient, droite sans écraser les haricots, sans les malaxer, petit à petit. Pour le moment, ils mijotent. T. est concentrée, attentive à ne pas remuer trop vite, elle parle même aux haricots, leur murmure des mots magiques connus d’elle seule. Quand c’est au tour d’ajouter le sucre, elle diminue le feu et s’applique à prendre à deux mains le sirop de glucose, d’un coup le jette dans le récipient. Sensation humide, peut-être désagréable, mais c’est ici que s’apprend le geste dans l’intimité d’un corps penché au-dessus des fourneaux. Quand la pâte à la texture liquide atteint une jolie teinte foncée, T. la coule dans un plat pour la faire refroidir le temps de cuire les galettes.
Elle est toujours là, dans l’ombre de la nuit, assise, les yeux fixés sur le dorayaki, présente à ce moment où elle sait le bonheur à venir. Une bouchée, une dégustation au ralenti, et c’est toute une histoire qui s’écrit dans le silence du jour naissant, comme une saveur enregistrée, inscrite dans la mémoire gustative de son corps.
Comme toujours un dépaysement raffiné. Comme un éloge et une invitation au voyage.
aurais-je une fan? ravie de vous dépayser, mais maintenant, j’ai la pression!!!