Une fois les protagonistes installés autour de la grande table, vient le moment d’inciser délicatement les arêtes des parois et d’abattre celles-ci suffisamment discrètement pour que de l’intérieur, on se s’aperçoive de rien. Pour que l’illusion soit toutefois durable, on ne manquera pas de déposer une cloche de verre épousant très exactement l’emplacement des murs. Verre sans tain comme il se doit, les protagonistes ainsi ne se savent pas observés. Ils sont par ailleurs protégés des bruits fortuits que l’observation pourrait occasionner. Effet collatéral : aucun son ne parviendra à la personne procédant à l’observation.
Voilà, ça commence… On dirait que désormais la pièce se prolonge par des perspectives infinies vers les quatre points cardinaux. Si l’on se place du côté de l’ancienne porte d’arrière-salle, on regarde indubitablement depuis le nord et ses rigueurs. Si l’on est du côté fréquemment préféré par les femmes du groupe, on regarde depuis l’ouest et ses espoirs. Il y a aussi le côté est d’où vient le soleil le matin. Et puis le sud… où on aurait tendance à s’installer si l’on en vient !
Début de réunion, l’est -le soleil est particulièrement pâle et fragile ce matin- craint le possible raidissement venu du nord. Ah, le nord… C’est là que se situent les plus férus de littérature classique, des gens capables d’en parler de façon admirable. On peut ainsi voir leur délégué au comité, bien droit, légèrement décollé du dossier du fauteuil, parlant à grande économie de gestes, précisant juste avec des pincements de doigts les lignes de faille et puis remontant ses mains comme un enfant égrène du sable, il parvient à convaincre qu’il a gardé la capacité de s’émerveiller comme un enfant. Et l’est en est tout paralysé, visiblement ému. Peut-être inquiet aussi de ce qu’à l’aurore boréale puisse succéder la tempête nordique. Et c’est ce qui se passe justement, l’orateur du nord se met à rougir, se met à tempêter , il va en falloir du temps avant qu’il revienne à d’autres couleurs… et encore si l’est ne vient pas lui apporter la contradiction !
Tout cela, on le voit aussi bien du sud que de l’est ou de l’ouest. De l’ouest, on s’en amuse. De l’est, on s’en inquiète mais tout en fourbissant ses armes. Du sud, on observe tranquillement. Avec un calme qui impressionne tous les autres, comme on peut s’en rendre compte quand, prenant le point d’observation du sud précisément, on observe les autres regarder le sud.
Et si on se poste carrément à l’opposé, au nord, on voit certes du calme, mais encore de la modestie et aussi du mystère chez le sud. Car à ce point de la réunion, le débat est devenu houleux entre le nord et l’est, avec des ricanements venus de l’ouest. Tout paraît devenu sombre… Sauf les tenues arborées par le sud, si différentes de celle des autres du groupe. Le sud ne se mêle pas, le sud s’est décalé, devançant la crainte d’être d’une nouvelle façon déclassé ?