Ce bouquin, on me l’a mis dans les mains malgré moi. Un format livre de poche qui n’entre pas dans les poches, ou alors, peut-être dans la poche centrale d’une salopette. J’ai écouté le libraire en parler à une cliente. J’écoute rarement les libraires. Je suis trop timide pour leur demander un renseignement, ou alors un titre dont j’ai entendu parler. Très rarement. Mais le libraire parlait à la dame avec enthousiasme. Il parlait fort. Je faisais celui qui lisait une quatrième de couverture mais j’étais pris. Je savais, à sa tête, qu’elle ne prendrait pas le livre. Elle voulait quelque chose de plus… enfin autre chose. Moi, je n’attendais qu’une chose, que le libraire repose le livre. Il l’a remis en rayon. J’ai regardé où. J’ai attendu qu’il s’éloigne. Je l’ai pris, la main bien écartée, je l’ai caressé, j’ai regardé le titre, la couverture, je l’ai tourné, je ne sais plus si j’ai lu la quatre de couv. Je n’en avais pas besoin. Je savais que je repartirai avec. En faisant l’article, il me l’avait vendu. Depuis, j’en ai acquis neuf exemplaires. Quatre sont de la même édition que celle que j’ai emportée avec moi ce jour-là, des poches épais, les cinq autres sont des éditions grand format, deux en français les autres en anglais, espagnol et un en japonais, pour le plaisir de l’objet. Un roman, un seul, dans ses déclinaisons. Le tout premier est annoté, souligné, truffé de marque-pages et de post-it, de tickets de métro et de feuilles pliées. La quatrième de couverture est effacée. Ce premier exemplaire est désormais protégé d’une couverture transparente. Malgré leur poids, j’en ai toujours un dans un sac ou une valise, et une copie numérique sur mon smartphone. Je connais l’histoire, je l’ai lue, relue, linéairement, dans le bons sens puis à l’envers, j’en prends des bribes, au hasard, y redécouvre des choses oubliées. J’y cherche quoi? L’histoire du monde, mon histoire? La force de la poésie et de la plume quand elles tranchent. La puissance de l’inconnu qui ne se révèle pas. Et la vitale violence d’une date, 1933.
Bonjour, j’adore votre texte ! Il me rapelle les séances à la bibliothèque, quand j’étais enfant, et qu’à la fin de lecture on voulait tous le livre mais qu’il n’y en avait qu’un seul exeplaire à emprunter !:
Merci Sandrine.
Le souvenir de la bibliothèque municipale est vif également, d’où je repartais chargé de livres et de magazines. Celui-ci avait, de toutes façons été classé au rayon romans (je me souviens qu’il y avait une catégorie « Romans ») et dans la partie adulte où je n’allais pas.
Ça démarre fort Philippe, et tant mieux, la colère et la timidité en ouverture, et puis le livre, son texte, vos manières de collectionneur, j’aime beaucoup la confrontation au premier exemplaire du livre, quasi dévoré…
Belle suite,
Cat
merci Catherine
à très vite pour la suite
« La puissance de l’inconnu qui ne se révèle pas. » Oui on les aime ces livres qui réclament d’être lus encore et encore et qui accompagnent toute une vie…
on va voir ce qu’on en fait dans l’atelier 😉
J’ai envie d’entrer dans cette librairie. En fait j’y étais derrière les lignes de ce texte… un début de roman ?
je ne sais si c’est un début de roman mais c’est une bien bonne librairie que celle dont il est question, et il y a souvent du monde derrière les lignes (bien plus qu’entre elles)
Merci pour vos mots et la force de cette scène de librairie.