C’est l’un des livres qui a consolidé ma forteresse de lutte contre la laideur à un moment critique où ses murs étaient menacés d’effondrement. J’aurais voulu en retenir tous les mots, créer des digues de mémoire en moi, mais les mots coulaient, vagues et pluie, les mots justement avaient été écrits pour qu’on ne les retienne pas. Flux des émotions à travers les personnages et les paysages, flux des situations, je ne suis pas ceci ou cela, je suis une rivière qui coule, et Héraclite secoue joyeusement la main en me voyant passer. Comment un roman d’une telle douceur peut-il être un tel bélier contre l’essentialisme, je m’en étonne encore. En tout cas il est venu nourrir mon engagement militant bien autant qu’un livre philosophique ou sociologique. Il est aussi venu me consoler, me murmurer à l’oreille que la discontinuité n’est jamais totale, et que la continuité n’est jamais qu’une illusion.
J’ai offert mon livre tout corné et annoté à un amoureux qui ne me l’a jamais rendu, adieu donc aux flipflap irréguliers en tournant les pages, adieu aux gribouillis tendrement apposés dans les marges, il a fallu tout recommencer avec un nouvel exemplaire, et surligner, n’en doutons pas, d’autres passages avec un autre stylo bic. J’en suis encore contrariée, 20 ans après.
Un temps. Soudain, reviennent en moi deux images, le suicidé versus celle qui aurait pu l’être. Tout cela, se suicider ou ne pas se suicider, ne tenait qu’à un rien, car le réel les griffait tous deux pareillement. Ce rien m’a hantée, il ne le fait plus. Il est toujours là, un pivot à partir duquel bâtir une boussole.
Merci pour le récit de cette belle rencontre.
Merci Laurent !
On y entre et le trajet est rude, on en sort secouée, mais de quel endroit ? et par quoi ? Le texte mèle ainsi force et silence.
Bonne suite !
Merci Catherine, et à bientôt de vous lire
Il y a, dans ce dédoublement, le travail de la mémoire qui voudrait qu’on se baigne deux fois dans le même fleuve alors qu’on n’est plus soi et que le fleuve lui-même a changé. Ça me parle.
Merci pour votre passage Jean-Luc 🙂
« C’est l’un des livres qui a consolidé ma forteresse de lutte contre la laideur à un moment critique où ses murs étaient menacés d’effondrement. J’aurais voulu en retenir tous les mots, créer des digues de mémoire en moi, mais les mots coulaient, vagues et pluie, les mots justement avaient été écrits pour qu’on ne les retienne pas. »
Votre entame est magistrale. Merci Sophie !
Oh merci beaucoup Marie-Thérèse, votre retour me touche beaucoup
Il est beau et fort ce prologue ! Merci Sophie.
Merci infiniment de votre passage Muriel