Dès qu’elle a su pourquoi, elle a su comment : elle a bougé, elle a changé. Changé d’endroit. C’est comme changer d’identité. A chaque fois. Pas le choix ? Tu croyais qu’on avait toujours le choix, quelque part. Non, pas elle. Dans son sac-à-dos elle a logé le minimum. Dans le minimum, il y a un stylo et le carnet vert. Quand le carnet vert est plein, elle le cache. Elle se débrouille toujours pour avoir un nouveau carnet vert. Il y a ceux qu’on ne retrouvera jamais, ceux qui se décomposeront. Les enterrés. Et ceux sur lesquels on tombe par hasard, comme celui-là, au fond d’une armoire, dans une maison qu’il a fallu vider. Une maison qui était une ancienne école élémentaire. Elle est donc passée par là. Le carnet était dissimulé dans une pile de vieux registres. Registres contenant des listes de noms. Registres des inscriptions. Dans le carnet vert, il y avait aussi des listes, comme par mimétisme, comme pour brouiller les pistes. Listes de choses à ne pas oublier. Listes des endroits où elle avait atterri, liste des raisons pour lesquelles elle vivait comme elle écrivait. Comme quelqu’un qui n’est jamais au bon endroit, comme quelqu’un qui ne trouve pas sa place. Quelqu’un qui se sauve. Quelqu’un qui a appris à partir vite, en essayant de ne rien oublier. On a d’abord feuilleté le carnet, par curiosité puis on a tout lu. Après la liste des endroits, il y avait ces pages-là: je passerai par là. C’est une fugue qui durera ce qu’elle durera. S’ils me retrouvent, c’est qu’il sera trop tard. Le carnet vert, c’est la halte qu’on s’autorise. Je me souviens du jour où j’étais passée voir le peintre, dans la grande pièce qui lui tenait lieu d’atelier. Comme souvent, je m’étais faite petite, clandestine, assise dans un coin, et j’avais posé le carnet de ce temps-là sur mes genoux. Pour écrire. Sans rien dire, il s’était approché, avait posé sur mes genoux une planche mince. Une tablette. Puis était retourné peindre, penché sur sa table de travail, musique à l’écoute. Je le revois encore. Depuis, en route, j’ai toujours une tablette dans mon sac-à-dos. Rassurante dans l’inconfort. Quand on me voit posée là avec mon air de sans domicile fixe plongée dans un carnet, tablette sur genoux douloureux, on fait parfois preuve de gentillesse. On me donne des fruits, du pain, on me demande si j’ai besoin de quelque chose. Parfois je dis oui : je veux bien un stylo, ou un crayon. Pour avoir un peu d’avance. Parce que dans l’histoire, je dois souvent repartir sans demander mon reste, échapper au risque d’être arrêtée net.
la peur le risque d’être arrêtée net, le pourquoi du comment
La constance du carnet vert dans cette fuite en avant existentielle est remarquable. Quelqu’un essaie de le sédentariser avec un socle fin et léger à transporter et ce souvenir où le silence est encore de mise, permet ce retour de souvenir qui cherche son hébergement du jour. Cela me rappelle ma perplexité devant ces fugues d’adolescent.e.s pour qui l’enjeu des déplacements incessants et provocants étaient une manière de réclamer un regard qui n’abandonne pas la piste des compréhension. Cours après moi si tu m’aimes. Surtout ne cours pas, mais sois là quand je reviendrai. La liberté d’écrire en secret en public est un plaisir qui « conserve à la vie » , tout comme la poésie d’Andrée Chedid.Il ya plusieurs raisons de toujours partir en catastrophe, peut-être pour l’éviter justement. Mais il n’y en a qu’une seule pour s’arrêter sans intervention extérieure, c’est le vouloir vraiment. Même pas besoin de se justifier. La vie dans un sac à dos peut tenir assez longtemps finalement. Le nombre de carnets verts atteste d’une belle vitalité créative. En faire un livre ?
La constance du carnet vert dans cette fuite en avant existentielle est remarquable. Quelqu’un essaie de le sédentariser avec un socle fin et léger à transporter, et cette réminiscence où le silence est encore de mise, permet ce retour de souvenir qui cherche son hébergement du jour. Cela me rappelle ma perplexité devant ces fugues d’adolescent.e.s pour qui l’enjeu des déplacements incessants et provocants étaient une manière de réclamer un regard qui n’abandonne pas la piste des compréhensions.- Cours après moi si tu m’aimes. Surtout ne cours pas, mais sois là quand je reviendrai ! La liberté d’écrire en secret et en public est un plaisir qui “conserve à la vie” , tout comme la poésie d’Andrée Chedid. Il ya plusieurs raisons de toujours partir en catastrophe, peut-être pour l’éviter justement. Mais il n’y en a qu’une seule pour s’arrêter sans intervention extérieure, c’est le vouloir vraiment. Même pas besoin de se justifier. La vie dans un sac à dos peut tenir assez longtemps finalement. Le nombre de carnets verts atteste d’une belle vitalité créative. En faire un livre ? [ Nouvelle version corrigée de ce commentaire – je n’arrive pas à scratcher la précédente sur word press – Désolée ! ]
c’est bien que le verbe sauver ait ce double sens, peut-être inverse ? mais c’est bien
et cette modeste tablette à l’heure des tablettes…