Non pas les héros de toujours, ces hommes aux arrivées qui sauvent le monde d’une catastrophe ou d’un ennui, par un voyage qui termine le livre et un peu des yeux qui le lisent, si des héros de papier vont aussi loin, il n’y a nullement besoin de faire à leur place, à y croire sur papier, on finit par y croire au-delà du texte, nullement besoin de ces héros, de ces hommes, il y en aura, mais ce ne seront guère des héros, qui prennent toutes les pages, ne laissant que des miettes aux autres, à ceux que l’on doit bien nommer pour un peu de vraisemblance, d’ailleurs, pas de ces êtres-là, ces fantômes bon marché, pour en revenir aux hommes, ne leur seront pas attachés l’univers qu’on leur reconnaît, non pas le monde sur leurs épaules et la parole facile, non pas des arrivées grandiloquentes, non pas des hommes pour faire exister les femmes, non pas des hommes sans doutes, non pas des hommes forts, non pas des hommes qui n’existent pas, non pas d’héros masculins, rien à prouver avec eux, tout a déjà été trop dit à leur sujet, non pas de la complémentarité des genres et des sexes, non pas de vide à remplir, non pas de conquêtes d’êtres et de terres, non pas de corps qui ne soient ressentis, non pas de perfection, non pas de grandeur, non pas de beaux yeux qui se posent sur le monde, d’intelligence à ne plus savoir qu’en faire, non pas un héroïne mais plusieurs, non pas des héroïnes dont les sujets se bornent à l’intérieur, non pas de la douceur et du sentiment fantasmé, non pas des femmes héroïques qui maintiennent un monde voué à disparaître, non pas des femmes de leur temps, pouvant être contenues dans une période donnée, aucune volonté de les figer comme des traits de crayon sur une frise, non pas des êtres qui inspirent des sentiments nouveaux, inconnus, auxquels on ne peut s’identifier, non pas d’adultes qui savent tout et d’enfants ignorants, non pas une lutte entre deux types, non pas de mouvement en continu, non pas d’êtres qui à force de se mouvoir en deviennent flous, non pas une douzaine de versions d’une même personne, non pas une unique facette, non pas de miroirs éclatants où se reflètent nos propres tares, non pas de proposition de se sauver à travers l’autre.
Non pas l’une des trente-six situations dramatiques ou alors toutes en même temps, non pas la rigueur obligeant à puiser dans ce qui a déjà été dit, détaillé, déterminé, classé, non pas de crime par manque d’inspiration ou de contrainte à un thème que l’on ferait subir à tout le monde, de ressorts à sortir de sa boite à outils, non pas d’artifices, non pas de drame ou alors ceux du quotidien, une brûlure de soleil ou une noyade assoupie dans l’eau du bain, non pas de sujet incroyable, non pas de fantastique pour ce qu’il dit du réel, non pas de naissances à répétition, non pas d’histoire d’amour que ritualise les conventions, non pas de consommation des êtres, non pas une ode à l’utile, au mensonge et à la distance, non pas un étalage de bons sentiments, non pas de complexité quand la simplicité existe, non pas l’action pour la seule crainte de la passivité, non pas d’intelligence à la place de la bonté, non pas le rejet de ce qui a été fait autrefois, non pas une vie trop connue, non pas d’emprunts, non pas l’absence du travail de la mémoire, non pas de prétention dans ce qui est à évoquer, non pas de certitudes et de conventions, non pas de confort dans ce qui a déjà été travaillé ailleurs, non pas de bricolage, non pas un manque d’ambition dans ce qui veut être amorcé, non pas de sujets lâches, non pas de détours dans ce qui doit être dit, non pas de non-dits quand cela devient difficile, non pas de villes pour faciliter la cartographie, non pas de villes reconnues par l’amoncellement de rues, de monuments et de faits divers, non pas une temporalité prédéfinie, non pas des paysages déterminés par une époque unique, non pas de sentiments qui s’accorderaient systématiquement avec le temps qu’il fait, non pas de couleurs pour teindre le vide, non pas un thème accordant chaque personnage à lui-même, non pas de catégorisation formelle, non pas chacun·e à sa place, non pas de routine validant des absurdités, non pas de ligne droite, jamais rien de droit, toujours dévier, le monde tourne il faut savoir détourner le sujet.
Non pas un sommaire prédéfini, roman avec chapitres bien ficelés, ne pas savoir faire ses lacets était sans doute un signe, ne rien ficeler, ni les personnages et les sujets, ni les mots et l’univers qu’ils permettent de dire, laisser les mots se désenchainer d’eux-mêmes, les laisser arriver, pouvoir les rejeter, y retourner, les retourner, en trouver d’autres, balancer les anciens pour mieux les retrouver, les mots ne sont pas une respiration mécanique mais des vagues, non pas de mots faciles, de figures de style, de formules toutes faites dont on finit par ne plus saisir le sens, non pas d’abus dans les adjectifs pour prendre de la place, non pas de mots qui ne veulent pas dire un peu de l’existence, non pas du prosaïque pur, non pas de poésie pour adoucir l’action du monde, non pas une mélodie avec des boucles se répétant, non pas une unicité de la parole et de l’action, non pas le verbe parce qu’il est là mais pour ce qu’il permet, non pas de binarité dans le langage, non pas de croyances dans le fait de prendre parti, non pas d’élection de mots savants pour écraser qui que ce soit, non pas de mots trop lus pour faciliter ce qui doit être plus complexe, non pas de phrases longues ou courtes par principe, non pas l’idée qu’un éclat ne puisse être retravaillé par la suite, que tout doit être gardé pour mieux être taillé, non pas l’appréhension du texte comme un bloc de marbre à graver en Vénus, non pas de structure imposée à tout un volume, non pas de mots au garde-à-vous, les laisser comme les mauvaises herbes et non pas les contenir dans des phrases, laisser les mots se déverser, exploser les virgules (et les parenthèses) autant que les majuscules et la ponctuation, en cas de doute, non pas le supprimer, contenir le récit c’est comme contenir de l’eau, impossibilité ici, peut-être quelques repères mais qui ne seront là que pour illuminer la multiplicité des routes empruntées, il n’y aura pas de chemin tout tracé, guère plus de chronologie, non pas de rythme pour le rythme, sa dynamique s’imposant d’elle-même à la recherche de la beauté et de la vérité.
Non pas la règle de trois que l’on retrouve dans les histoires, qui détermine la durée et le rythme, qui permet un certain confort, une anticipation, un plaisir d’un goût reconnu, non pas le chiffre trois à retrouver par trois fois, non pas ce confort-là, cette facilité qui n’en est pas une, oui elle fonctionne bien cette règle-là mais non, nous ne l’utiliserons pas, non pas pour le goût de l’objection mais pour le plaisir du déséquilibre, à quatre, quatre pour déséquilibrer le trois, le trois du triangle comme une dague, se voulant incisif, non pas de chef et ses alliés mais un quatuor à accorder, non pas de hiérarchie, d’ascendance pour ce qu’elle représente, non pas de fausseté sur ce que la vie forme, non pas une courbe montante pour la lâcher à la fin et laisser la solitude s’installer à nouveau, guère plus l’idée de la chute, non pas d’atterrissage, et si Icare était resté perché entre ciel et terre, il y aurait tout une mythologie à redéfinir, il n’y aura pas de début, de milieu et de fin, pas un temps prisonnier mais des respirations mêlées, des voix superposées qui ont le mérite de s’entendre, aucun inventaire de la mémoire mais plutôt une recette de cuisine détrempée qu’il faudra lire et relire à plusieurs pour en décrypter les saveurs et aller jusqu’à inventer mesures pour combler l’invisible, non pas de règle, car elle se casserait dans le bouillonnement, les mesures seraient repoussées hors du texte, non pas de texte qui se suffirait à lui-même, non pas de structure narrative étudiée, de ce type qui ne puisse être assouplie par la poésie, non pas de poésie qui viendrait faire décoration, non pas de passages pour faire joli, pour montrer que la beauté est dans le corps et dans les mots murmurés, non pas de beauté facile, non pas de hasards heureux, non pas de mensonges, non pas une méthodologie qui ne tiendrait pas sur le temps, non pas un trop grand sérieux qui briserait l’envie, non pas d’amusement perpétuel au risque de ne pas permettre l’existence, non pas de mensonges, non pas de trucs et astuces, c’est que cela donne bien une forme mais une forme bancale, en quelque sorte, non pas d’obsolescence programmée par ces mécanismes automatiques qui font une écriture une absence d’amour en ce qui concerne le fait d’écrire, non pas un épuisement du monde.
Super non non surtout pas d’art poétique et pas de nuance avant toute chose non pas non plus choisir entre le pair et l’impair… inspirant et l’on continue soi même dans sa tête la petite chanson du non
Oui, la chanson du non ne s’arrêtera pas de sitôt.
Merci Marion !