Où allaient ces gens qui étaient dans le train tout à l’heure, le train dont les voies n’offrent pas de déviation possible, parcours programmé, aiguillages réglés, itinéraire fiable et sans surprise. Où allaient-ils ? La question l’a effleuré, sous le pont, alors que le souffle du TGV avait à peine eu le temps de le surprendre. Étaient-ils confortablement installés, tickets en poche pour un lieu qui ne soit pas juste un quelque part, étaient-ils attendus par un boulot, une obligation, un amant, un vent favorable, un tournant de vie, n’étaient-ils que dans une routine et un trajet régulier, LILLE, aller revenir, PARIS, repartir, dans un sens puis dans l’autre, PARIS, appréhender le même paysage depuis le même siège, apercevoir les terrils, LILLE. L’envie le prend d’être à bord, de se laisser glisser sans choix immédiat à opérer, les choix immédiats laissés à distance, sur un autre siège. Laisser la vie rouler, laisser faire, détacher ses yeux de ce 5 arrimé au mur et bousillé. Par quoi ? Le temps, l’usure, une vis qui a fait le chemin à rebours et s’est carapatée, une vis qui s’est reconvertie, qui a sauté sur une occasion qu’elle n’attendait plus ? Ce 5 cochon pendu, ce 5, amputé de ce qui le tient, un trait droit, solide, une charpente. Cochon pendu, tête en bas, souvenirs de gosse, souvenirs de rigolade, le monde qu’on voit à l’envers, le sang qui afflue. La sacoche est toujours posée au sol. Son cœur bat de ce qu’elle déballerait si elle s’ouvrait. Son contenu immatériel étalé sur la voie publique, ça ne serait pas de bon goût. Au-delà du peigne et du rasoir, au-delà du portefeuille et des insignifiances qu’il concentre, au-delà des slips et des tee-shirts qui donnent du volume à la toile, elle ne contient que du vide, cette sacoche. Pas assez grande pour qu’on parle de sac. Du vide, du vent. Pas un bagage, du bidon, du pipeau. Des promesses, ah oui, il y en a eu ! Il ne saurait même plus les citer. Des ailleurs, des chambres à soi, des familles accueillantes, des familles d’accueil, des accueils d’urgence, des rendez-vous brûlants, des contrats possibles, les réciter oui, mais se les rappeler précisément… Sa vie devient une généralité dont les détails lui échappent, ils se sont barrés avec la vis de la façade du 325, l’adresse où on l’attend, ils se sont installés en douce dans les coulisses d’un tortillard, insaisissables car barrés pour des allers-retours vides de sens. Qui l’attend ? Sous le porche, quelques affiches qu’il ne regarde pas. Sa sacoche est dans ses bras à présent et ne pèse plus sur son épaule, il la porte comme un enfant. Dans la cour, les voitures auxquelles il s’attendait ne sont pas là. Un vélo, deux scooters et une camionnette qu’on est en train de décharger. Un gars, à l’intérieur, se débat seul avec un colis encombrant. Sans avoir besoin de parler, soutenir le colis, le faire glisser en douceur jusqu’au seuil de la maison.
Là où il pensait sonner, la porte est ouverte.
Ah waouw ! Toutes ces questions, de belles accumulations qui ont trouvé leur place et tout semble si naturel. J’adore aussi la dernière phrase.
et moi futile, souriant à la lanière (ces saletés qui font mal) comme à un de ces détails indispensables à la vie du texte
Inspirant, merci.
Rétroliens : Squelette mou – Tiers Livre, explorations écriture
Je n’avais pas lu L2 en mettant mon commentaire en L1 et on y retrouve justement cette sacoche et ce 5, comme pivots naturels. merci