J’ai voulu en savoir plus sur Clovis Hugues que j’ai rencontré, statufié, à Embrun dans les jardins de l’Archevêché. Clovis Hugues (1851-1907), son monument a été érigé en 1909 : il est dédié au félibre, au poète, au grand-père. Près de lui, ses petits-enfants figés pour l’éternité en une lecture silencieuse de ses poèmes, souvenir d’un passé révolu, du temps des cerises, que Clovis Hugues a chanté pour la Commune de Marseille. La jeune fille fait lecture au garçon, peut-être le sonnet à la ville d’Embrun écrit par leur grand-père ? Écoutons-la déclamer :
Ainsi qu’un vaste aimant mystérieux et pur.
Le ciel m’est à témoin que ton vieux Roc m’attire
Je suspends à tes pins mon bâton et ma lyre
Comme l’ancien prophète aux grands cèdres d’Assur.
Je ne puis ni pleurer doucement, ni sourire,
Que devant tes sommets envolés dans l’azur ;
Je vois s’épanouir, loin des vents en délire,
La bonté dans tes cœurs et les fleurs dans ton mur.
Et c’est pourquoi je t’offre, ô Ville maternelle,
Ce livre né de toi, dans l’ombre de ton aile,
Pendant que la Durance au flot illimité
S’en allait recueillir, entre l’Orme et l’Yeuse,
Le torrent qui berça mon enfance rêveuse
Et l’adopter ainsi que tu m’as adopté !
L’ensemble est paisible, les enfants sereins. Amusant, ce monument ignore l’homme politique, l’écrivain militant, franc-maçon, d’abord communard, révolutionnaire, socialiste et qui devint député boulangiste. . « Il fut tout cela tour à tour et à la fois », dit de lui Aristide Briand. Membre de la Commune de Marseille en 1871 en compagnie de Gaston Crémieux, il échappa au peloton d’exécution de Thiers et fut emprisonné à Tours en mai 1873 et écrivit « Ce que nous chantions en prison » :
Et pourtant que demandions-nous ?
Nous voulions, comme nos ancêtres,
Ne plus tomber à deux genoux
Devant le lâche orgueil des maîtres ;
Nous voulions que la royauté
Ne vînt plus bâillonner nos bouches,
Et nous voulions dans la cité
Garder nos droits et nos cartouches.
Libéré il devient journaliste, il est élu député du Parti Ouvrier Français. Fausse note dans son parcours : Clovis Hugues publie des articles antisémites dans le journal « La Libre parole » d’Édouard Drumont, l’auteur de « La France juive », le chef de file des antisémites de l’époque. Il fait partie de la ligue des patriotes de Déroulède. Mais en 1899 Clovis Hugues se rallie à l’innocence de Dreyfus – ce qui lui vaut les critiques de ses partisans. Il est aussi celui que écrivit quelques pièces érotiques dont, à l’âge de 50 ans, une Ode au vagin, poème illustré de gravures coquines qui circula clandestinement et dont voici un extrait :
Mais les cuisses s’ouvrent. Victoire !
Voici le con dans sa beauté,
Sous sa frisure blonde ou noire
Adorablement abrité,
Humide comme une prunelle,
Frissonnant déjà comme une aile.
La main de l’amant t’entre-baille
Vivante rose de cypris,
Et tout de suite elle travaille,
D’un doigt léger, le clitoris.
La couverture porte pudiquement le titre Ode à Vénus, tandis que la page de titre indique clairement Ode au Vagin. Il meurt, quelques années après, en 1907. Il est enterré à Embrun.
carte postale de l’Époque
Dans les jardins de l’Archevêché, le voilà sagement installé, grand-père attentif, loin de l’agitation du monde, lui qui refusa un mariage religieux, lui, le blasphémateur, le fauteur de troubles, le révolutionnaire, le redoutable duelliste, le poète érotique ! Les passants ne voient de lui que le poète qui écrivit en provençal et en français des poèmes à la gloire de notre Provence, le Majoral du Félibrige, une dignité éminente de l’association des mainteneurs de la culture provençale fondée par Mistral. Savent-ils que chaque majoral avait pour symbole de sa dignité une cigale ? Lui révélé par une cigale ?
Clovis Hugues c’est un possible ! mais la mise en page, hum, ça craint !