On ne sait quel est vraiment l’espace du gravier et l’espace de l’herbe, l’herbe qui s’appelle en ce temps chiendent et qui vient faire quelque chose qui ne s’appelle pas encore dessin puisque les dessins se caractérisent par de maladroites taches sur des feuilles alors qu’ici le gravier pointe, brille de certaines de ses facettes dures et blanches et s’enfouit sous les brisures de tamaris, le bruit et la vision se mêlent donc parfois, il y a comme un massif central mais loin au-delà de l’herbe ̶ le penchant renvoie-t-il la lumière de ces passages de vent parmi l’herbe et des jeux de nuages que j’ai aimés très tôt, pas si lointains compagnons de jeu ̶ et tout près, il y a des traces aussi, des traces fines car le véhicule de la première enfance est cette voiture de métal qui marche à pédales, qui ne marche pas beaucoup, qui vaut surtout par les traces qu’elle laisse que par un sillage de vitesse, respectueuse en cela des escargots ̶ les premières coccinelles sont-elles alors remarquées ?
Dire qu’ils l’appellent fromage de tête, ce carrelage à gros morceaux qui se taille bien en marches d’un escalier pisseux, d’un escalier aux odeurs de peinture encore fraîche et de moisissures pourtant déjà qui s’installent ̶ la rivière souterraine, paraît-il, est toute proche ̶ un gravillon appelle juste au-delà de la porte, un gravillon où vont devoir s’essayer les premières roues de bicyclette, deux grandes et deux petites pour commencer dans ce gravillon incertain de son adhésion au bitume sillonné parfois par les gros rats qui remontent de la rivière souterraine, rarement par la transports de jeux de ballon partagé, souvent par des jeux de ballon solitaires qui vont même jusqu’à l’herbe parcimonieuse dont des petits brins restent coincés dans la semelle et alors le fromage de tête s’égaye, comme si dans ses méninges, un brin de fantaisie ainsi lui arrivait, poussé par quelque chose qui n’est pas vent mais jeu de jambes qui s’essaient au passement d’une enfance qui n’est déjà plus tout à fait la première.
C’est un sol qui colle et qui sent, qui sent quand le soleil est assez haut dans le ciel pour chauffer la toile de plastique qui le recouvre, un sol de plastique alors que c’est le sol des nuits censées se passer près de la nature -qu’ils disent !- et que le relief d’ailleurs sous le tapis de sol rappelle qu’il y a là de l’herbe écrasée, des cailloux et parfois de petits coussinets de sable, si l’on fait frissonner le bruit de la fermeture éclair, si jamais on laisse entrer l’air frais, le vrai, car le soleil est maintenant assez haut, alors, on aperçoit ces fantastiques végétaux élevés que sont les brins d’herbe quand on les regarde à vingt centimètres au-dessus de la surface de la Terre, la tête à peine levée, juste dégagée de l’odeur entêtante du plastique chaud et la perspective est bien celle d’une marée de grandes herbes, de bases de troncs d’arbres figurant autant de piliers du temple des vacances, qui recèle, à l’intérieur de la crypte de toile, dans les petits creux que forme le tapis de sol, quelques amoncellements de sable, parfois de bouts d’herbe ou de bois séché, les reliefs des passages des semelles de promenade et même des premières soirées tentées hors du cercle de la famille, alors que l’on se devrait adolescent.
Incroyablement inodorant quand on sait qu’il est fait de bouse séchée, incroyablement frais au temps d’exposition pourtant de la plus grande chaleur qui puisse être, et incroyablement doux aux pieds qui se doivent d’être nus car c’est la case de la mère et donc c’est la case des parents d’adoption et l’on vient là pour saluer, pour parler, et l’on vient là pour manger le soir quand on est rentré trop tard par les pistes de terre tassée, séchée qui ramènent de la ville avec le courrier du village, c’est là qu’on pose ravi ses pieds nus sur la petite croûte légère, qui paraît élastique, qui offre le plus grand repos qui puisse être, réconfort complémentaire de celui du pot empli d’eau parfumée de tamaré, d’eau fraîche juste sortie du grand canari de la case de la mère et on a les yeux rivés au sol, non seulement parce que c’est signe de respect mais parce que le sol est à cette heure le plus grand bienfait qui puisse être après qu’il ait été parfois le sol trop sablonneux de la piste pour rentrer au village, après qu’il ait été parfois le sol sec trop peu large entre les hautes herbes où il fallait frayer le passage des deux roues de bicyclette, le sol est maintenant frais, souple, élastique, alors on le savoure, alors on est heureux d’être à un endroit où le temps ne compte guère, où la nuit n’est jamais mangée par la sonnerie des réveils, on prend le temps du repos une fois la peine de la journée donnée.
Il y a certainement des bribes d’herbe encore sur ce sol-là, de ciment grossier, le sol de ce qui fut un atelier, qui est maintenant l’indiscernable espace où se stockent des choses qui servent et d’autres qui ne servent pas, il y a beaucoup de sciure ou de petits copeaux de bois sur ce sol du temps où les hivers peuvent être froids, où il faut faire provision de ce qui, en brûlant, réchauffera, le sol est marqué de tout ça et de traces de peinture peut-être -on s’est essayé là à bien des artisanats parfois pour envoyer au loin- pour dire quelque chose de soi, dire les promesses du temps à venir mais juste au-dessus du sol de ciment grossier il y a le sol de bois celui des marches de l’escalier, celui du plancher, le sol que j’ai en arrivant là passé des heures à poncer, à vitrifier, un sol alors que j’aurai ménagé pour ne pas le rayer, pouvoir y marcher pieds nus bien sûr pas à la saison où le poêle chauffe mais à d’autres, à celles où l’odeur du foin frais entre par la fenêtre grande ouverte, sol de parquet aux petits nœuds encore, qui fait déjà écho avancé à ce sol de parquet à grands nœuds de pin dit scandinave pour bien mélanger les lieux et où je m’essaierai à dire, à créer avec des mots, à traquer bien sûr les bribes de poussière, car le temps est venu où il faut être propre et où il faut aussi s’essayer à d’autres clés.
Les crevures du goudron renvoient la blessure de mon pneu, l’herbe du bord du canal adoucit un peu le passage, le trèfle particulièrement vert et doux en cette saison, il y a pourtant encore les feuilles sèches des platanes de la saison passée et surtout et surtout ces bouts de branches brisés par les grandes bourrasques de l’Autan de printemps, on aperçoit, crevant la surface des hautes herbes l’orchis bouc haute et parfois penchée, j’y suis les traces du bitume rehaussées de la poudre de fruits de platanes qui s’est déposée là, mouillée, qui a fait sa soupe, jouant à sa façon la partition d’un canal postiche, l’autre à cette heure encore, sombre, est tapi derrière les massettes et le soleil sur le sol marque par d’infimes et infinis reliefs la possibilité d’histoires gigantesques et dérisoires, dans l’entrecroisement des langues possibles où l’inspiration d’un chemin propre essaie de résister à la vibration du passage des autres vélos qui n’en peuvent plus de vitesse alors que c’est dans la lenteur, celle reproduite des pistes africaines, que l’on pourrait peut-être imaginer d’autres cours, par centaines, par milliers.
présence de chacun des grains de ce collier
…qui ferait écho ou contraste à la présence des creux perçus au long des heurts ?