La clé triangulaire ouvre la porte d’entrée de son immeuble tandis que l’autre donne accès à son appartement. La toute petite clé est pour la boîte aux lettres au rez-de-chaussée ; elle possède son propre anneau, contrairement aux deux premières. La clé de la Citroën aussi a le sien : quatre clés pour trois anneaux, donc, reliées à un porte-clé passablement volumineux représentant une peluche de Rantanplan. Tout cela forme un premier trousseau sur lequel deux autres se greffent – l’un des deux regroupe les doubles des clés de sa fille, l’autre sert pour le travail – et ce complexe assemblage, noyé au milieu des factures impayées, de la mitraille, des rouges à lèvres, fards à paupières, tubes de crème, broches et chouchous, prend une certaine place dans le bocal – qui aurait manifestement, si l’on se fie à la trace de calcaire visible à deux centimètres du bord, accueilli un jour un poisson rouge. Or, pour le reste, tout est bien rangé ; on sent que les choses ont leur place : les sets de table dans le coin à gauche partagent avec le pot pourri de fleurs séchées le rayonnage du bas sur le petit meuble en bois lasuré, et au dessus, à côté du dit bocal reconverti en fourre-tout, une place est laissée volontairement vacante pour son sac à main. Par contre les murs ont un aspect hautement plus baroque. Comme pour souligner les formes tarabiscotées du papier peint, des miroirs et des appliques ornés de bois flotté côtoient une orgie de petits cœurs et de mots naïfs piqués dans des bouquets de fleurs en plastique. À cela s’ajoutent les cadres contenant les photos de ses enfants et de ses petits-enfants. Excepté la salle de bains et le petit cagibi dans la chambre, toutes les pièces de l’appartement bénéficient d’un bel éclairage naturel grâce aux fenêtres avantageusement exposées. La plupart d’entre elles sont d’ailleurs très souvent ouvertes et celle de la cuisine l’est pour ainsi dire toujours, qu’elle y soit accoudée pour fumer sa cigarette ou pas, car les diffuseurs d’ambiance ne suffisent pas à contrer à eux seuls la persistance du tabac. En bas, des gamins imberbes, venus entretenir une sempiternelle flaque de mollards dans laquelle flottent leurs mégots, s’assoient sur les marches en briques devant l’immeuble et regardent, hypnotisés, leur ombre bouger autour d’eux comme une aiguille sur un cadran. Le ciel étend ses draps mouillés au dessus d’une marée d’immeubles ; au centre un immense terrain vague miné de merdes de chiens, sans toboggan ni table ni banc ni poubelle ni rien. Juste un terrain vague.
Il y a dans ce zoom à l’envers un double mouvement, celui de l’œil oui, mais aussi celui de la langue, qui se fait beaucoup plus lacunaire et poétique dès qu’elle sort du détail de l’intérieur, merci pour ces « gamins imberbes venus entretenir une sempiternelle flaque de mollards » qui « regardent, hypnotisés, leur ombre bouger autour d’eux comme une aiguille sur un cadran »
Très réussi
J’adhère. Le commentaire de Line. J’y adhère aussi. Merci. Rien que déjà le début à partir d’une clé, puis de l’anneau, puis du trousseau. La suite à l’avenant.
Merci beaucoup pour vos commentaires auxquels j’accorde énormément d’importance. Je pressens déjà le caractère infini de tout ce que m’apprête à découvrir en m’essayant aux exercices proposés dans cet atelier. J’essaye tant que possible de lire les propositions de chacun et de chacune d’entre vous et cela m’aide beaucoup dans mon apprentissage. Longue vie à Tiers Livre!