Il a la soixantaine ou bien pas loin John. Un polo à col boutonné dans les tons bleu foncé décoré d’une série de drapeaux formant un cercle, ceux de la Grande-Bretagne sans doute, baskets aux pieds. Le crâne presque chauve, quelques cheveux blancs coupés courts, une barbe naissante blanche également, un centimètre de longueur environ, des yeux clairs, un sourire avenant, l’accent britannique. Il va et vient derrière son comptoir usé. John, car c’est écrit sur la devanture du café, Chez Martine et John, mais pour beaucoup, c’est Chez John avant tout. A l’intérieur, posées sur du carrelage brun-beige, quelques tables rectangulaires marron foncé, des banquettes vert bouteille, aux murs des miroirs de formes différentes bordés de bois sombre, une télévision au fond d’où jaillit de la musique, groupe de rock anglais, des chaises empilées près de la porte des toilettes, une grande fenêtre grillagée donne sur une façade de pierres grises. Sur un autre mur, près du bar, des affiches sont collées, des brochures touristiques sont à disposition de quelque touriste égaré en cette saison creuse. On se demande bien comment il a atterri là John. Et Martine, où est-elle ? A la maison, en train de se reposer avant de venir prendre le relais de son compagnon, époux, ami ou bien de l’épauler lorsque l’heure de l’apéro sera venue et que la salle se remplira. Derrière une paire de lunettes discrètes, il regarde l’écran de son portable tenu à bout de bras. Il s’ennuie John. Il y a peu de clients en ce milieu d’après-midi de janvier. Deux courageux fumeurs sur le bout de trottoir qui leur sert de terrasse, cinq-six en dedans, moi comprise. Il serait venu ici pour suivre sa dulcinée, Martine, lozérienne de père en fille, qu’il aurait rencontrée lors d’un voyage dans le coin avec sa femme et leurs deux bambins. Elle tenait alors le camping dans lequel ils avaient passé leur séjour, au bord du Tarn. Las de la platitude de son Angleterre natale, il serait tombé en amour de Martine en même temps que de cette région semi-montagneuse, si belle en été, ses paysages somptueux faits de causses, de gorges et de monts de bruyère, de ruisseaux, rivières, lacs et lavognes. Après un retour tumultueux outre-Manche, il aurait démissionné de sa boite de fabrication de chaussettes et serait vite revenu en Lozère vivre auprès de Martine. Il a un pli vertical au milieu du front John, juste au-dessus du nez. Ce qu’il lit attentivement sur son portable, sans doute en langue anglaise, semble l’inquiéter, le contrarier, il a l’air sérieux soudain. Il est question du Brexit peut-être. Il songe à son ex-femme et ses enfants restés au pays. Il y retourne au moins une fois par an pour voir ses petits-enfants, trois au total, deux de sa fille, un de son fils. Ses enfants ont eu du mal à lui pardonner et ils ne se sont pas vus pendant près de dix ans. C’est long dix ans, il a souffert de cette absence mais reste philosophe John. Regrette-t-il parfois ses choix ? Se sent-il vraiment chez lui en France, ce pays d’adoption, d’exil, d’amour, sur cette terre chargée d’histoire et de résistance ? Le vent est frais à l’extérieur. Des personnes entrent, d’autres sortent. Je bois un chocolat chaud servi dans une tasse sobre, liseré bordeaux. Ce n’est pas son goût pour la décoration qui fait sa bonne réputation, non, c’est autre chose. John prend les commandes sans précipitation, on a le temps par ici, prépare cafés, sirops, pressions, range ses tasses après les avoir soigneusement essuyées. Gestes répétés sans fin. Le tout sur fond de musique folk, de guitare, une voix qui chante la nostalgie, The Wolfe. Il retourne à son portable, seul, derrière son comptoir. C’est calme chez John. La guitare reprend, les clips s’enchaînent. Chris Isaak a pris le relais. J’ai dit qu’il était anglais mais il est peut-être australien, irlandais, néozélandais, canadien ? Son accent étranger au milieu de cette région de ruralité profonde, parfois hostile, souvent austère, donne un air d’ailleurs, de liberté, l’envie de voyager. Avant d’entrer dans le café, j’ai vu passer sur la route un cavalier avec son chapeau de cow-boy vissé sur le crâne, avançant lentement sur sa monture indolente, cela ne surprend personne. On mélange les genres et les cultures du côté de chez John.
Un bar aussi? Dans cette ruralité profonde, ça donne un peu d’humanité, ça tient chaud! On dirait que nous sommes des barfly…en tout cas, on s’y croirait…
ah ! mais oui, c’est donc John… Un beau croquis de l’homme et du lieu… ce qui me fait penser que je ne l’ai pas encore écrite, cette proposition.