La rue. On descend la rue. Un coup d’œil sur la plaque, Chemin Noir. La rue courbe. À droite, bord extérieur, des petits pavillons à droite, une allée, un petit jardin, parfois la voiture ou la moto devant le garage, qui peut être ouvert, murette et portail fermé. À l’intérieur de la courbe, la caserne des pompiers, une sorte de H.L.M. Un bloc de boîtes aux lettres vert fait face aux grandes poubelles, bacs jaunes et noirs. On descend la rue et c’est là, à gauche. Toujours il arrive par la gauche. Le portail est encore ouvert. Il marque un temps d’arrêt, jette un œil derrière lui, observe la cour vide. Les préfabriqués à droite, trois arbres, le bâtiment du fond (trois lettres rouges, presque noires avec le soleil dans les yeux, qu’il distingue mal), le cabanon de chantier à gauche. Un coup d’œil sur l’espèce de trappe en ciment, ce soir, posée contre le portail. Une grande trappe carrée, un trou rond au milieu. L’ont oubliée ma parole. Il ôte le sac à dos noir de son épaule, le laisse pendre à sa main gauche. Une lanière touche le sol. Les cons. Il descend. La cour blanche et grise. La poussière. Un coup d’œil sur le tapis de feuilles mortes. Les feuilles déchiquetées sous les tilleuls. Un caillou roule sous un pied. Il titube. Un coup d’œil sur le cabanon avec un temps d’arrêt. La fenêtre est restée entrouverte. Il va la refermer. La vitre garde les traces de ses doigts. Elle lui renvoie aussi l’image de son visage. Un reflet projeté dans l’obscurité du cabanon. Il tourne la tête. Il observe le portail et la trappe là-bas. Là d’où il arrive. Une voiture passe en silant. Courroie sans fin. Des voix. Des voix quelque part. Derrière le muret. Il regarde tout autour de lui et replace le sac à dos sur son épaule. Il file vers les toilettes. Sur le seuil il marque un temps d’arrêt. Un coup d’œil par-dessus l’épaule. Il se retourne et observe la cour. Le portail là-bas. La trappe au trou. Et face à lui la façade vitrée. Le dernier éclat du soleil aveuglant. L’ombre de la toiture qui arrive. Il recule et disparaît. Dans les toilettes. Les toilettes sombres et grises. La peinture écaillée et les toiles d’araignées. Ciment du sol au plafond. Joli blockhaus. Le sac à dos jeté contre la poubelle et ça embaume aujourd’hui. Boire directement au robinet. L’eau entre les mains. Sur le visage et un coup sur la nuque. Avec toujours les voix. Quelque part derrière. Temps d’arrêt. Se redresser et jeter un œil par-dessus l’épaule. Ça coule dans le dos. Boire. Boire et cracher dans le bac. Pisser dans l’urinoir jauni, fendu. Le système de rinçage bouché. Ça gicle sur les godasses. Ouvrir le sac. En sortir un sac plastique blanc pour le poser dans le bac. Le reste dans le chiotte. Ouvrir la porte et tout jeter. Mais cette fois ça résiste. Ça bloque. Impossible d’ouvrir. Les cons. Va falloir grimper. Se hisser au sommet de la porte avec le sac à dos. Ça tombe. Tout ramasser et recommencer. Refermer le sac d’abord. Bien le caler sur l’épaule. Les mains sur le cadre de la porte. Un pied trop haut sur la poignée et pousser. Mais pas de force. Et ça glisse. Remonter le pied. Bien sauter sur l’autre et tirer sur les bras. Et tirer et tirer. Et gueuler. Ça monte. Ça y est. Souffler. Les bras par-dessus le haut du cadre. Un pied sur la poignée. Souffler. Ramener le sac à dos en main. L’ouvrir. Souffler. Laisser tomber. Les cons. Et alors le chiotte, dedans, des barquettes de charcuterie, une bouteille de vin rouge, une grosse boîte de conserve, des Post-it bleu, jaune, orange et vert dans leur film plastique, des emballages en papier de pain et de sandwichs, une ceinture en cuir noir, un sac poubelle, une clé USB grise sans capuchon, un paquet de pots de yaourt non entamés, un gilet jaune, un cahier Clairefontaine bleu ciel et une trousse noire, la fermeture décousue et cassée, des boîtes en carton, quatre bouteilles d’eau vides, une lampe, le pied en forme d’ampoule, une balle de ping pong fendue, le cordon de la chasse d’eau arraché, une couverture. Puis quoi encore.
Embarquée !
Et courageuse ! Merci.
Quoi encore dessous ? Tu vas nous l’dire ? Faut pas charrier quand même…
Et c’est bien pour ça que le texte s’arrête. A quoi servirait de dire ce que tout le monde sait déjà ? — Cela dit, moi qui ai vraiment dû mettre un jour les pieds et les mains dans ce chiotte encombré pour en dégager l’accès et le nettoyer, c’était encore tout un bazar sous la couverture. Mais après, tout au fond… — Merci.
Je me demande quand même si les derniers mots du texte sont utiles. Ou, puisque j’ai voulu jouer avec l’expression et puis quoi encore, s’il ne s’agit pas d’un problème de forme. Pourquoi ne pas utiliser l’italique, et laisser entendre que le personnage, tout en se demandant à part soi ce qu’il y a dessous, me répond, et me rembarre d’une certaine manière ?
Non, moi j’aime bien le « et puis quoi encore dessous » sans point d’interrogation, ça donne l’idée du bric à brac qui peut s’y trouver encore… Et ça m’est égal de ne pas le savoir, l’énumération est déjà longue, j’imagine le reste, ça suffit!
Sans marque d’interrogation, oui. C’est bien comme ça que je l’entends aussi. Mais juste l’italique peut-être. — Merci.
Beaucoup aimé d’emblée… halètement, rythme réussi et prenant…
L’importance de « les cons », litanie qui nous tient
A bientôt Will…
(avec le regret tout de même de ne rien entrevoir derrière ce nom !)
Merci Françoise. — C’est vrai que j’ai essayé de jouer sur le rythme en déjouant peu à peu la structure de la phrase à chaque changement de lieu (abandon de la virgule en route ; abandon des verbes conjugués pour l’infinitif, sauf avec le pronom « ça » ; abandon des phrases pour une seule avec la liste, si c’est une phrase). — Bref, j’essaye.
cet oeil omniscient qui se garde bien de décrire « l’image de son visage » reflétée dans la vitre…
Eh oui, mais c’est que je ne sais vraiment pas à quoi il ressemble pour l’instant. Et puis j’aime bien les jeux d’ombres et de reflets. Merci.