Ma première est un espace clos, rassurant. Liquidien. Il me semble que je flotte. Il ne s’agit que de couleurs qui filtrent au travers des parois de chairs rosés. Fin papier de soie d’un théâtre d’ombres chinoises.
Ma deuxième est une caresse. Parois d’osier recouvertes sur trois côtés d’une cotonnade de fleurs bleues. Je ne peux détacher mes yeux du ballet de lumière qui se joue au plafond.
Ma troisième contient le monde entier entre ses murs. Mon père, assis au bord du lit, éteins la lampe de chevet. Un rayon de lumière provenant de la porte entrouverte donne au chat, couché sur le tapis l’aspect rayé d’un tigre endormi.
Ma quatrième embaume la cannelle et l’anis étoilé, le pain d’épice et le vin chaud. Mes doigts sagement disposés sous l’oreiller sentent encore la mandarine. Plus ténue, l’odeur rassurante des essences de sèves et d’écorces flotte autour du feu endormi.
Ma cinquième est bien plus qu’une chambre, une enclave. Le centre de mon monde. Je suis allongée sur le dos je ferme les yeux pour mieux appréhender les limites de ce corps qui m’est étranger. Cette pièce mansardée et tortueuse est mon royaume.
Ma sixième tourne sans fin. Le lit est un bateau qui tangue. Ivresse. Je m’accroche à ce point fixe. N’ose fermer les yeux. La fatigue m’écrase. Le cœur dans la gorge écœure jusqu’à la nausée.
Ma septième n’est que pure sensualité. Les draps de soie blanche glissent sur les corps nus. Peau a peau. Ton grain de beauté juste en dessous de la voussure de ton omoplate.
Ma huitième est le premier matin du monde. Je n’ai jamais été aussi heureuse. Ton souffle est régulier et tu tiens l’avenir tout entier dans tes deux petits poing serrés.
Ma neuvième est une nuit sans lune et sans espoir. Cette chambre que je ne connais pas, que je n’ai pas choisi. Lit de métal gris que l’on peut modeler à sa guise à l’aide d’une télécommande. Impossible de fermer l’œil. Il va m’avaler entre ses mâchoires d’acier.
Ma dernière est capitonnée de blanc. Je suis éveillée.
Pourtant, impossible d’ouvrir les yeux.
Quel merveilleux équilibre de tact et d’intensité !
Merci Clément, cela me touche beaucoup !
Sympa l’idée de la progression et de la charade. Merci.
Merci beaucoup pour votre lecture!
J’aime beaucoup l’effet charade, ça apporte de la légèreté mais aussi de la mélancolie je trouve.
Merci Rebecca, rien de tel que le prisme de l’enfance pour évoquer les thèmes les plus sérieux…