…, des lits gigognes disent les parents, « gigogne », il aime bien, ça sonne comme « cigogne », au mur le papier peint vert d’eau se décolle par endroit sous l’effet de l’humidité, il se sent bien, ça tangue et ça grince quand son frère se retourne dans le lit du bas…
…chuchotis des parents dans le couloir au réveil; malaise qui enfle si fort qu’il voudrait replonger dans le néant, ne plus entendre les mots blessants, la colère menaçante ; ferme les yeux et quand les rouvre toujours la même odeur d’humidité rance, le même espace bouché par la vieille armoire bancale qu’on n’ouvre qu’avec précaution…
…sort à peine du rêve où résonnent un couplet chanté a tue-tête ; une voix suraigüe de jeune enfant dont il devine l’énergie au petit matin, dans la pleine lumière du jour, tristesse de n’être que soi-même…
…à force le matelas s’est un peu défoncé, mais tout de même c’est la première fois qu’on dort seul dans une chambre, une chambre à soi. avec au mur des photos découpées dans un livre de classe, des photos d’écrivains, en noir et blanc, pour les rendre familiers…
…où le corps reprend sa présence obscure écrasé par la moiteur des draps en sueur, se réveille privé de ses repères habituels, chambre sans nom, présence du frère à côté qui ronfle encore et cette odeur fraiche de petit matin, se réveille tout neuf et déjà si vieux pourtant…
…une chanson comme une scie cet été-là, envoutante, venue d’un espace méconnu de la mémoire, plus tout à fait lui-même, pas encore tout à fait un autre, vagues de conscience petit à petit dans la mélodie idiote de l’enfance…
…il se reconnaît peu à peu, oui, c’est bien lui mais d’un autre âge, les jambes lourdes, les doigts gonflés du sommeil pas tout à fait disparu, si lourd d’une vie tout entière passée à retrouver un instant enfui et entêtant…
… glouglou de l’eau fraîche qui coule nulle part ailleurs que dans l’oreille d’une autre époque, une époque où tout est encore à venir et pourtant déjà advenu, une résurgence d’eau fraîche appelle des possibles enfuis désormais, à portée de reconnaissance juste au moment du réveil, comme il aimerait plonger ses mains dans la source vive qui fait signe et se dérobe …
…c’est encore le matin et déjà la chaleur de la journée à venir alourdit l’être d’une existence oubliée une paresse incommensurable, à rester aux aguets à retenir le geste qui le rendrait à l’instant présent…
…une chambre en fuite dans la perception, immobile dans la pénombre de l’absence, plus réelle que la conscience acagnardée dans l’attente d’un repère où reprendre pied, préférant l’oubli vague à la reconnaissance, se méfiant de l’effondrement qui pourrait s’en suivre : puiser dans l’oubli pour la recréer, vierge de tout souvenir…
on n’écrit que d’oubli