Sais-tu que les conducteurs de bus aussi écrivent des livres ?
Non elle ne le sait pas elle voit le monde de sa fenêtre comme tout le monde
Combien faut-il de fenêtres pour appréhender la réalité ?
la conductrice du bus en a plusieurs
le grand pare-brise avant
les deux rétroviseurs de côté
le rétroviseur central qui montre ce qui se passe dans le bus
les vitres de côté
l’écran du simulateur de conduite sur lequel elle a appris
pas d’écran de caméra de recul ni d’écran de GPS un jour peut-être
toutes des visions partielles du réel
Mais même avec plusieurs points de vue et plusieurs cadres voit-elle autre chose que ce qu’elle veut bien voir (ce qu’elle doit voir)
le passager qui ne valide pas
l’enfant qui traverse
la voiture qui dépasse
la passagère chargée qui met du temps à monter ou à descendre
la courbe difficile à négocier quand elle croise un camion
le temps qu’il fait mouillé ou sec
les voitures qui s’impatientent derrière elle dans la montée
les cyclistes qui peinent et qu’elle ne peut dépasser
la pluie sur les vitres
la nuit le jour
Mais voit-elle le passage des saisons sur la campagne ?
le bâtiment qui se construit chaque jour un peu plus
les feuilles des arbres qui jaunissent
les fruits qui mûrissent dans les jardins
le magasin qui a changé sa vitrine
la publicité nouvelle sur l’abribus
Elle est pourtant plus attentive que le passager fatigué qui regarde le monde défiler ou la passagère perdue dans ses pensées de ce que sera sa journée ou de ce à quoi elle occupera sa soirée (et ce qu’elle fera à manger)
Voir plus tout voir est-ce possible ?
la photographe se fie à la fenêtre de son objectif au cadre de son viseur
Elle prétend voir plus en patientant en se laissant surprendre en revenant en parlant
Voit-elle vraiment plus ?
La plaine agricole de Chasselay un vendeur de pêches à l’arrêt Montluzin à côté de son verger (directement du producteur au consommateur, métaux lourds en prime) des gens pressés qui ne veulent ni parler ni se laisser photographier
À l’arrêt gare de Saint-Germain-au-Mont-d’or le propriétaire du snack l’invite à rentrer dans sa cour et à prendre une chaise il a envie de parler pas si souvent sans doute Sa mère est morte en 1978 elle possédait l’hôtel restaurant étoilé dont il est propriétaire maintenant il le loue à des jeunes qui tiennent le snack et il y habite Il est marié à une Africaine qui ne lui fait que des dettes lui l’ancien joueur de rugby ainsi va la vie.
La plaine agricole à nouveau à Chasselay un groupe qui monte joyeux bavard ils veulent une photo de groupe Travaillent chez Bail à cueillir les herbes (la coriandre en ce moment) Italiens Algériens rentrent à Lyon où ils habitent et reviendront demain. Photo bougée. Elle la met sur Facebook pour qu’ils la voient.
Le stagiaire le plus bavard écrit (en arabe) c’est ses collègues qui le lui disent
Au hasard d’une navigation sur internet elle lit la présentation du projet photographique d’un collègue
Incroyable suffisance des photographes !
À travers ce projet développé en Écosse, le photographe découvre la lenteur du regard en se concentrant sur tout et en amenant le spectateur à capturer tous les détails, à lire la réalité directement, sans filtre ni réinterprétation. »
ooblick
ah c’est bien toutes ces rencontres de hasard ainsi va la vie