#été2023 #01 | Allez hop

Menton enfoui dans l’oreiller, colonne vertébrale arquée vers le haut à faire craquer de toute urgence, aaaaahhhhh, la gravité pesant, chargée de son énergie nocturne. Il est cinq heures sur l’écran noir et blanc qui clignote, le téléphone est encore en mode sommeil lui aussi, toutes notifications sonores éteintes afin de ne pas réveiller les autres. Enthousiasmés par la journée qui commence, les chats sautent dans le lit, sur ce dos endolori, frottent leur petit museau sur ce qui dépasse de l’oreiller. Une fois la série de craquements vaguement inquiétants effectués, traine ta savate à travers ce couloir qui n’en finit pas vers les croquettes, attrape d’un geste souple la carafe de la cafetière, et commence le rituel de pelletage des grains dans la petite enveloppe marron. Empêche pensivement le gros chat de bouffer dans la gamelle du petit chat, viens avec ton café fumant et ton nuage de lait dans la petite pièce à toi chèrement gagnée sur toutes les adversités. Clic clic la petite lampe à droite. Soulève d’un geste vif le capot de la machine, jette le gros feutre dans le creux, là, pour occulter ce nom de marque qui t’agresse les yeux, l’écran encore noir reflète ta bouille chiffon, où sont tes lunettes, indispensables pour pouvoir les relever sur ton front quand tu réfléchis, ah dans la chambre, retourne à-pas-de-loup-à-pas-de-loup, dans le noir marche funambule à travers l’espace tant connu, pas autant que celui de ton enfance où tu courais dans le noir de ta maison la nuit pour échapper aux monstres cachés, n’en doutons pas, partout. Tâtonne sur la table de chevet, profites-en pour renverser cette installation qui avait résisté à tous les assauts enthousiastes des autres : un petit bouddha en métal, avec dans le creux de la main quelques grains de lavande ramassés l’été dernier, un bonhomme playmobil en tenue d’ouvrier et un pingouin en verre, nageoires comme tendues vers les deux autres, font cercle autour d’une feuille de lierre séchée sur laquelle est délicatement posée ta petite pierre noire préférée. Enfin, faisaient cercle, tu ne les vois pas mais tu sens bien que l’harmonie a été rompue. Bon. On verra ça plus tard. Quitte à faire un détour, passe dans la salle de bain t’harnacher de tes talismans : bracelet pour pouvoir dormir avec l’autre sur le poignet gauche, tu auras bien besoin de toute la journée pour t’en convaincre, boucle d’oreille en forme de maison dentelée sur le lobe gauche, « mon corps est ma maison, mon corps est ma maison », feuille d’or plantée dans le trou au-dessus — tu t’acharnes un peu dessus, boucle d’oreille clitoridique en trophée sur le lobe droit. Tu hésites, mais enfin oui allons-y tu veux faire quoi d’autre. Assieds-toi, la machine est posée sur ce support censé rendre ta posture plus ergonomique, m’ouais, et en attendant que ça charge, gratouille machinalement sur les petits carrés de papier collés sur les touches, il y en a quelques-uns qui se décollent, mais tu aimes bien faire flapflapflap avec le J ou le F pour lancer ta réflexion, ou pour retrouver ce fil quand il a tendance à se perdre. T’en étais où, au fait ?

A propos de Sophie Hutin

Metteuse en scène & Formatrice à *La Marcheuse* : Théâtre | Danse | Performances | Action sociale ---> http://LaMarcheuse.fr Avance dans l'écriture avec lenteur et pugnacité

2 commentaires à propos de “#été2023 #01 | Allez hop”

  1. La répétition de « à-pas-de-loup à-pas-de-loup », on pourrait continuer, on est dans un couloir, et cela suffit pour que je comprenne. Bravo !
    JMG