#40 jours #02 | ceux d’après.

Le numéro, c’est le 89, mais il ne se voit plus depuis la route. Les buissons ont pris hauteur d’arbres. Ils débordent, ont piétiné les parterres de fleurs d’un côté, de l’autres ils mangent tout le trottoir par-dessus le mur, des enfants turbulents qu’on ne tiendrait plus, ils ont effacé la jolie façade. Le mur et la boîte aux lettres en pierres surmontées d’un bloc de marbre ont gardé leur majesté, un peu du lustre d’antan. De ce qu’on souhaitait donner à voir au-dehors, mais garder caché tout le reste. Quelqu’un viendra qui remettra de l’ordre, une famille avec plus de deux enfants, un chien, un chat qui se fera écraser. Il passe peu de voitures sur la route défoncée, mais celles qui passent roulent comme on se venge, comme se foutre des limitations parce que la vie n’en finit pas de vous tordre, de vous contraindre, alors appuyer sur le champignon, ce serait comme lui faire un pied de nez dès qu’on peut. Les châssis seront changés (ils commencent toujours par ça), qui passeront du blanc au gris anthracite, l’escalier sera replacé où il aurait dû se trouver, à partir du hall d’entrée, et la cuisine agrandie. Les murs seront abattus, et s’ils sont porteurs on utilisera des poutrelles métalliques qu’on pourra laisser apparentes, le mélange de l’ancien et du moderne, ça se fait beaucoup. Les enfants joueront plutôt derrière, malgré l’espace dégagé et dallé devant, à cause des voitures qui roulent trop vite. Il n’y a qu’à se souvenir de ce qui est arrivé au chat. On n’a plus envie d’en prendre un autre, mais les enfants sont revenus avec celui-ci de chez les voisins. On n’a pas pu leur faire de la peine, leur refuser, on a juste dit c’est le dernier. Si celui-ci finit comme l’autre, on n’en prendra plus et vous ne pleurerez pas, c’est promis. On sera heureux du temps qu’on aura partagé avec lui. La maison, ils ne l’ont pas payée cher, à cause de l’état dans lequel elle se trouvait. Un an elle est restée à vendre. À acheter ils mettent maintenant sur le panneau qu’ils affichent. À ce prix-là, ça laissait de la marge pour la rénovation et le père est venu les aider, vu que c’est son métier à la base. Pour le moment c’est encore en travaux, mais on peut y vivre. Ça va. On a connu pire. Avec les deux enfants et les jumeaux qui s’annoncent, on peut dire qu’on a fait le bon choix. Chacun aura sa chambre. Deux grandes bennes qu’on a remplies, juste devant la façade on les a fait poser, et on balançait par les fenêtres. Vous n’avez pas idée de ce qu’ils avaient laissé et de ce qu’on a jeté. Mais déjà on a fait propre et après on a pu s’y installer. Pour les travaux on a le temps. Du moment que chacun a sa chambre. La suite on verra.

A propos de Anne Dejardin

Projet en cours "Le nom qu'on leur a donné..." Résidences secondaires d'une station balnéaire de la Manche. Sur le blog L'impermanence des traces : https://annedejardin.com. Né ici à partir du cycle«Photographies». Et les prolongations avec un texte pour chaque nom qui dévoile un bout de leur histoire. Avec audios et vidéos, parce que des auteurs ou comédiens ont accepté de lire ces textes, l'énergie que donnent leurs voix. Merci. Voir aussi sur Youtube.

Un commentaire à propos de “#40 jours #02 | ceux d’après.”

  1. J’aime beaucoup le futur que tu utilises Anne, nous sommes à la fois dans ce qui se passe au présent et dans l’imaginaire de l’après. C’est superbe, merci beaucoup. J’espère que tu vas bien ? Bises.