L’adresse est claire : 50 rue du disque, 22e étage, dernière porte à gauche en sortant de l’ascenseur, M. Nguyen The Thien. On m’a conseillé ce psy parisien, très bon, pas trop cher, mais j’habite Epinay-sur-Orge et venir à Paris en voiture est toujours une aventure redoutée. Le GPS m’indique que je dois sortir de A6 à la porte d’Italie, prendre le périphérique jusqu’à la porte d’Ivry, puis l’avenue d’Ivry. La rue du disque est sur la droite, je dois la suivre jusqu’au bout. Avant, j’avais honte d’employer le GPS. Depuis que j’ai vu un reportage sur les taxis de Taipei qui avouent ne rien faire sans GPS, je suis désinhibée.
Le GPS, il a fallu que j’apprenne à m’en servir, mais maintenant ça va. Apprendre à ne pas mettre le téléphone sur silencieux (sinon pas de guidage), à avoir une idée plus précise des distances (sinon je rate les changements de direction) et surtout à avoir confiance dans cette voix qui me guide. J’ai essayé Waze, mais je suis revenue à Google Maps, pas besoin de tous ces itinéraires alternatifs, des alertes de dépassement de vitesse et autres joyeusetés. Je conduis prudemment et surtout lentement. Et puis j’aime la prononciation de la petite voix qui est parfois si exotique.
Paysage de tours à gauche, au loin, à droite, tout juste tempéré par un grand bâtiment de pierre et de briques, très élégant avec ses hautes verrières, juste au début de l’avenue d’Ivry. ça sent la réhabilitation réussie de bâtiments industriels. Ne faut-il pas que je pense à chercher une place ? Livraisons (il y a déjà quelqu’un dessus), autolib, velib, payant (il y a de la place, mais de l’autre côté), je continue. « Dans 50 m tournez à gauche dans la rue du disque », « tournez à gauche dans la rue du disque », j’obtempère. En face de moi, deux trous noirs : un sens interdit qui s’enfonce sous le panneau Exo Cash and Carry Produits exotiques gros 1/2 gros et la rue qui fait un coude et file en pente sous la terre, chichement éclairée de néons. A l’entrée, une profusion de panneaux : Interdit aux piétons, allumez vos feux, hauteur maximale 3,5 m produits explosifs interdits interdiction de stationner, remorquage si stationnement intempestif.
On dirait une entrée de parking, mais c’est une rue souterraine, un tunnel. ça tourne encore, je croise un piéton, un autre piéton. Il y a des entrées de parking, des poubelles, des panneaux réception avec des places de parking dans un élargissement de la rue, des rails, un panneau sortie avec une flèche, fin de la rue, des tags, l’entrée d’un temple chinois, des poubelles. « Votre destination se trouve sur la droite », je suis de nouveau dans l’avenue d’Ivry, soleil, soulagement, éblouissement, incompréhension. Mon psy doit être dans cette tour, juste là au 50 rue du disque. Pourquoi m’avoir donné cette adresse souterraine ?
Une place, payante, tout près, je la prends. On accède au hall d’entrée par des escaliers ou un escalator (en panne). Six ascenseurs, trois pour les étages jusqu’au 15e et trois pour les étages du 16e au 31e. Pourquoi ai-je choisi ce psy, moi qui ai le vertige ? Avec en plus un accès par les souterrains ? Long couloir, au moins dix portes. Je sonne à la dernière, à gauche en sortant de l’ascenseur. « Vous aviez rendez-vous ? ». Oui, dis-je, avant de m’effondrer en pleurs.
Dès le début les photos l’adresse la description j’etais dans l’angoisse… Texte qui fonctionne TB apparemment. J’ai évité les sanglots de la fin de justesse. Lol. Merci
J’ai habité longtemps au 50 rue du disque et c’est bien l’angoisse que j’ai ressenti en écrivant ce texte. J’en ai rêvé la nuit suivante. Etrange !
« Connaissance par les gouffres », c’est la phrase qui m’est venue immédiatement après lecture de votre beau texte.
La citation ci-dessous (sauf les drogues) me semble aller avec.
« Les drogues nous ennuient avec leur paradis.Qu’elles nous donnent plutôt un peu de savoir. Nous ne sommes pas un siècle à paradis. Toute drogue modifie vos appuis. L’appui que vous preniez sur vos sens, l’appui que vos sens prenaient sur le monde, l’appui que vous preniez sur votre impression générale d’être.Ils cèdent. Une vaste redistribution de la sensibilité se fait, qui rend tout bizarre, une complexe, continuelle redistribution de la sensibilité. Vous sentez moins ici, et davantage là. Où « ici » ? Où « là » ? Dans des dizaines d' »ici », dans des dizaines de « là », que vous ne connaissiez pas, que vous ne reconnaissez pas. Zones obscures qui étaient claires. Zones légères qui étaient lourdes. Ce n’est plus à vous que vous aboutissez, et la réalité, les objets même, perdant leur masse et leur raideur, cessent d’opposer une résistance sérieuse à l’omniprésente mobilité transformatrice.Des abandons paraissent, de petits (la drogue vous chatouille d’abandons), de grands aussi. Certaines s’y plaisent. Paradis, c’est-à-dire abandon. Vous subissez de multiples, de différentes invitations à lâcher… Voilà ce que les drogues fortes ont en commun et aussi que c’est toujours le cerveau qui prend les coups, qui observe ses coulisses, ses ficelles, qui joue petit et grand jeu, et qui, ensuite, prend du recul, un singulier recul. »
H. Michaux… voilà un écrivain avec une vision 3D avant l’heure…
Merci pour ce texte de Michaux que je ne connaissais pas. Je vis désormais à la campagne, mais j’ai habité longtemps au 50 rue du disque. Je n’avais pas d’idée précise en débutant ce texte si ce n’est de parler de cette rue souterraine. Je me suis aperçue en l’écrivant que l’architecture des villes les rend désormais peu faites pour les humains sans GPS. Heureusement, l’idée des villes souterraines s’est un peu calmée depuis les années 70.