Puis ce jour est venu. Il est rentré. Il a dû le sentir en refermant la porte derrière lui. Que l’air était différent.
Trois phrases ne suffisent pas. A dire un instant. Dire l’instant. Cet instant. La porte et lui. Fermée comme lui. Fermée sa main. Sa main et sa poche. Sa main dans sa poche. Poche d’une veste. Sombre comme lui. Cliquetis dans sa poche. Ses doigts dans sa poche. Contre le froid d’un trousseau. Main ouverte sur une clé. Reconnue des doigts seuls cette clé. Parmi d’autres. Sur elle seule main refermée. De la poche sorties. La main et la clé. Les doigts et la clé. Tremblement non. Lassitude du geste de la main du mouvement de la clé. La clé et la porte. Approchée la porte fermée, doigts fermés sur la clé. Sans tremblement mais peut-être un doute de la clé de la main de l’homme devant la porte. Le contact de la clé. La porte fermée la serrure et la clé. La serrure et la clé sœurs de seuil. S’approchent. Se reconnaissent. Silence non le son infime la clé contre. La clé dans. Le poignet de la main des doigts de l’homme mouvement infime. La clé la serrure un monde fermé comme la porte comme l’homme comme la main. Le poignet a trouvé. L’exact alignement. De la clé de la serrure. D’un geste commun d’une porte commune d’une maison commune d’un foyer. Alors mouvement sûr. Rotation vers la gauche de la main du poignet des doigts de la clé. Quart de cercle lentement encore un peu mouvement sûr lent de la main du poignet de l’homme de ses doigts de la clé mouvement lent. Un peu plus encore. La porte comme un soupir mouvement de l’air. Entre ou sort. Espaces temps, deux, se rencontrent et se mêlent. Soupir de la porte. S’ouvre et respire l’homme, aussi. Frisson sur sa main. Elle sait. Déjà. Tressaillement d’une veine sur la main. Imperceptible non pas vraiment. Entre deux. Glissement de l’air sur le corps bout de corps qu’est cette main, main de l’homme main de la clé remisée déjà dans la poche retenue comme le secret qui s’ouvre et respire porte ouverte. Il est rentré. Porte refermée. Déjà. Derrière. Refermée sur un monde refermé enfermé. Il a dû le sentir. Que l’air était différent.
Codicille : la phrase en italique ouvre l’un des textes de mon manuscrit UN DEUX TROIS. C’est là, à cet endroit que j’ai eu envie, furieusement, de prendre le temps d’un ralenti.
Un texte dur comme cette clef. On est suspendu à ce ralenti. Bravo.
Merci Laurent! 🙂 Je vois que de nouveaux ralentis sont arrivés, je file les lire
Étonnant ce ralenti. J’aime. Je me demande si un ralenti « littéraire » est un développement descriptif. Je viens de comprendre le codicille de Laurent qui se questionne sur la différence entre un ralenti et un zoom. Pour ton texte, ça marche sans aucun doute.
Merci Jean-Luc. Le codicille de Laurent m’a aussi fait réfléchir. En repensant à la vidéo de François, je crois que le ralenti (qu’il décrivait en tout cas) emmenait dans son sillage ou au devant de lui un mouvement de Zoom.
Une certitude, cet « exercice » m’a permis d’encore plus entrer dans un moment d’écriture qui visualise en profondeur. Parfois quand j’écris, la visualisation vient presque après
Wouah, c’est bien…la rythme des phrases, ce hachage qui suit la décomposition des mouvements…bravo !
merciii Bruno 🙂
Tu avais déjà trouvé le truc avant nous tous. Bravo.
oh non, pas le truc, UN truc 😉 Merci Danièle pour ta lecture et tes encouragements
J’aime beaucoup ce texte, mais il ne m’a pas fait l’effet d’un ralenti, plutôt un rythme répété, un rythme en tout cas, avec le métal et dessus le tapé du doigt, difficile de définir le ralenti dans un texte quand on y réfléchit.
Merci Laure pour ta lecture. C’est vrai que pour le coup, la rythmique est hyper présente dans ce texte, à voir si ça sert un ralenti… ou pas 😉
Je ne peux pas passer sans saluer ta contribution. — Pas seulement parce qu’il y a un truc entre le ralenti et moi, un truc spécial, je le comprends maintenant. Non, la lecture de ton texte me comble, j’y trouve confirmation d’un rythme que je cherche. À travers le haché de ta ponctuation, les phrases nominales, c’est une mécanique de précision, horlogère, quasi imparable, qui se met en place. Ce qui me fait penser que le ralenti, c’est d’abord une affaire de dynamique. Merci donc pour ce bloc (coup de poing à sa manière), et merci aussi pour les commentaires qu’il a engendrés, pleins d’inspirations.
Merci Christophe,
Comme la sensation que bien souvent les commentaires nous aident aussi à comprendre les mécanismes qui sont à l’œuvre quand on écrit. Parfois, souvent, ils m’aident à quitter ma confortable intuition pour aller fébrilement vers quelque chose de plus clair.