Il se lève le dernier, avance dans le couloir tête courbée, salue le chauffeur d’un signe de la main gauche et jette son sac sur l’épaule droite. De la plus haute marche du bus, il observe les passagers se disperser dans l’obscurité de la gare routière. Certains sont reçus par des embrassades, d’autres montent dans des taxis, les derniers partent seuls à pied. Tous sont pressés de rentrer. Lui, il ne rentre pas. Il arrive. Il arrive un matin sans une adresse en poche avec son pantalon de toile beige froissé par une longue nuit de virages, heureux de sentir la douceur de l’air. En bas des marches, il n’attend pas, passe entre les véhicules, traverse la gare, sort dans la première rue. Il avance comme s’il savait où il allait, les yeux écarquillés, étonné qu’il y ait si peu de monde, si peu de voitures. Il est tôt, mais quand même, pour quelqu’un qui a grandi dans les embouteillages, c’est surprenant ce silence. Les perroquets font plus de bruit que les moteurs. La rue débouche sur une avenue. Il s’arrête. Les rayons obliques du soleil sèchent la chaussée encore humide de l’averse nocturne. Il fronce les yeux, sourire aux lèvres, attiré par ce lieu qu’il ne connaît pas. Un pick-up brillant croise une Renault 12 rafistolée, son coffre alourdi par une cargaison de bananes plantains rase le sol. À gauche, l’avenue plonge dans un labyrinthe de rues, de maisons basses, d’immeubles hauts et d’arbres centenaires, surplombés de montagnes brumeuses. À droite, l’avenue monte bordée de murs de résidences avec vues bien entretenues. Il pose son sac à ses pieds et se penche pour fouiller dedans, en sort sa casquette bleu marine, sans marque, se redresse et l’enfonce sur sa tête. Il se tourne vers la gauche, regarde la Renault 12 disparaître.