Celle qui est partie bien trop tôt sans avoir pris le temps de regarder grandir ses enfants, celle qui a vécu masquée, rêvant d’une autre vie que celle qui était la sienne, celle qui fait toujours des compliments, de ses yeux noirs plein de bonté, celle chez qui on se retrouvait tous les jeudis, celle qui n’a pas pu avoir d’enfant, en a souffert, s’est rattrapée auprès de ses neveux, celle qui ressemblait à Sheila, était institutrice, celle qui était fille unique, celle qui avait une tête de mouton, celle qui prenait ses nécroses en photo pour les montrer aux autres, celle qui cuisinait toujours de bons petits plats malgré son air austère et son arthrose persistante, celle qui a été dans un fauteuil roulant pendant toute sa vie, celle qui habitait à Rians, celle qui vivait dans le Gard et qu’on appelait tata Jeanne, celle qui a eu quatre filles avec un facteur corse, celle qui aimait son fils, la paléontologie et avait peur de tout, celle qui marchait au ralenti toujours en souriant, celle qui avait un chien et une sclérose en plaques, celle qu’on a toujours connu malade, celle qui n’a jamais vu le jour, celle qui couchait avec le père sans pour autant être sa femme, celle qu’on a laissé tomber avec un bébé sur les bras, celle qui aimait son père, celle qui a été très désirée, celle qui parlait comme une charretière et sentait pourtant si bon la brioche, celle qui ne t’a rien appris, celle qui parle du bout des lèvres, celle qui aime bien être au centre, celle qui s’efface derrière toutes les autres depuis qu’une autre est partie bien trop tôt sans avoir pris le temps de regarder grandir ses enfants. Celles-là qui font la tragédie et les secrets d’un roman familial sans cesse à réécrire.
(PS: Les selkies sont des créatures imaginaires issues principalement du folklore des Shetland. Elles y sont décrites comme de superbes jeunes filles qui revêtent une peau de phoque, dans le but de se changer en cet animal marin et de plonger dans la mer. Une fois sortie de l’eau, ce qu’elle fait toujours la nuit, parfois le jour en de rares occasions et le plus souvent durant celle de la Saint-Jean, la selkie quitte sa peau et danse à la lueur de la Lune. )
Beau texte, beau kaléidoscope, les images tournent, s’imbriquent…
merci pour le cadeau celles qui /selkies – vais en rêver dès ce soir,
on irait bien aussi se promener du côté de la généalogie des selkies non ?
Chrystel ! Comme j’aime ce texte et ces selkies ! mais il me semble avoir lu un autre texte de toi sur ces femmes qui… je vais chercher !
Oui j’ai déjà écrit un texte sur les « celle-qui » avec toi en atelier mais ce n’était pas les mêmes….
… et puis une trouvaille tellement synthétique et appropriée ce titre – Celles qui font font écrire ! Belles rencontres aussi, sur le Causse, en Lozère, envers et contre tout, de visu, par skype ou téléphone, juste pour le plaisir de partager des histoires, je les envie !
je relis aujourd’hui et décidément, j’aime trop celle-ci celle « qui parlait comme une charretière et sentait pourtant si bon la brioche » !
Oui, je l’aime bien aussi cette « celle-qui »-là. J’ai vécu quelques années d’adolescence avec elle et nous sommes toujours en contact malgré la distance.