Celle qui voit ses cheveux blanchir en une nuit quand la maison disparaît et qui cinquante ans après, chaque matin admire les beaux hortensias, les oublie et les retrouve le lendemain, nouveaux chaque jour, plaisir intact.
Celui qui, homme de peine, voyage de chantier en chantier et finit par tenir le bar, grand comme un bœuf, doux comme un agneau.
Celle qui conserve seulement un violon rangé dans l’unique placard mais que ses doigts peuvent étrangement reconnaître et trouver désaccordé et jouer les mêmes airs qu’alors dans les cinémas pendant les films muets.
Celui qui repeint chaque chose avec la peinture minium argentée qu’il a récupérée, économise chaque goutte d’eau, glane ses patates en vélo, fait le poirier jusqu’à bien tard mais a fini par rouiller.
Celle qui contemple quotidiennement cette photographie de photographe, studio comme Marilyn, teint pâle et sans défaut, sourire juste esquissé, de sa fille disparue à 20 ans et celui aussi.
Celle qui a perdu ses copines de classe, arrêtées ?, bien éduquée chez les sœurs, sait faire un ourlet invisible, reprendra son violoncelle à 60 ans et sa vie en main à 79, s’il est encore temps.
Celui qui, enfant de cœur pourtant, ne trouve pas son chemin, s’égare, se perd, décide que ç’en est trop et s’en va au bout d’une corde.
Celle qui pétille derrière ses taches de rousseur mais pas assez pour finir le chemin tranquillement et choisit aussi la corde pour ne pas connaître la suite.
Celle qui n’aime pas son retour d’Afrique, serviteurs absents, piscine vidée et seuls restent les nappes de wax et le poulet aux arachides.
Celui qui épouse enfin sa première amoureuse après tous ces détours et la rejoint dans sa caravane.
Celle qui épouse son premier amoureux, avec ses chaussures de Minnie et sa choucroute sur la tête presque pinup à y repenser, une erreur finalement.
Celle qui trottine comme une souris et parle gravement et laisse bouillir le café toute la journée sur la grosse cuisinière à charbon.
Celui qui entretient magnifiquement le petit jardin ouvrier tout en long, entouré de tous les autres, derrière la maison du coron, entourée de toutes les autres.
Celle qui donne des bonbons rouges en forme de fraise, sortis d’une boîte de médicaments en forme de cœur et elle avec ses joues en forme de poires molles.
Celle que l’on nomme comme la première guerre pour pas la confondre, chiffre devenu prénom et dont on entend plus l’origine derrière, elle surveille les gosses et la maison.
Celle qui a le visage tellement fardé, poudré à en éternuer, rouge débordant du contour des lèvres, enveloppée d’un parfum étourdissant qui ne masque pas totalement celui de l’alcool.
Celui qui, tailleur chévalisèremachère, a gardé des rouleaux de tissu rayé pour les belles chemises, des bobines de fils et de rubans et des boites de boutons de nacre.
Celle qui attend chaque soir, un œil sur le journal, l’autre sur le cadran, calculant le retard, le train de 17h20 depuis la gare ça fait dix minutes à pieds, pas dupe de la partie de cartes qui s’éternise.
Celui qui se fâche avec le curé, la cloche le réveille tous les matins, albinos lit son journal avec une loupe, ne pourra jamais conduire mais prendra le train.
Celui qui porte toujours son béret et que la silicose n’a pas loupé.
Celle qui vit dans la maison reconstruite après les bombardements, un dalmatien en porcelaine grandeur nature dans son salon, précieuse.