Celle(s) qui…

Celle qui n’est nommée que dans l’acte de mariage de son fils Louis ; celle qui, née en 1660 morte en 1736, porte le n° 1045 dans la généalogie familiale ; celle qui avait pour témoins de naissance son père jardinier et son oncle meunier ; celle qui s’appelait Marie, se faisait appeler Catherine, se marie enceinte en janvier 1813 et meurt en couches après avoir donné naissance à un garçon ; celle qui décède rue de la Bonnette en son domicile à deux heures du matin ; celle qui « fait la marque » – une croix – au bas de son acte de mariage ; celle qui était l’aînée d’une fratrie de treize, six filles et sept garçons ; celle qui, fille-mère, épouse un veuf de trente-cinq ans son aîné, père de quatre enfants, puis se remarie avec un homme deux fois veuf, père de six enfants ; celle qui n’est pas née à Lugny entre 1813 et 1822, ni à Nochize ; celle qui se fait assassiner dans son appartement de Lyon, laissant supposer une vie sulfureuse ; celle qui, née le 17 nivôse an XIII, fileuse dans le Nord, savait écrire ;  celle qui avait deux sœurs qui portaient le même prénom qu’elle ; celle qui, née avec la Terreur, grandit sous Napoléon, fête ses vingt ans au moment de son abdication, se marie après les Cent-Jours, vit sous Charles X et la Deuxième Restauration puis connaît la Révolution de 1830, avant la Seconde République ; celle qui, adolescente et solitaire, fuit la maison pour marcher au bord de la Belleuse qui traverse le village, alimentant les trois moulins à blé ; celle qui file le lin et le coton pour les marchands locaux de la région, entonnant de vieilles rengaines d’avant 1789, des airs traditionnels ou encore Malborough, Annette à l’âge de quinze ans ; celle dont le cousin germain délaissé admirera durant des dizaines d’années – sous le regard exaspéré de sa femme – la photo qu’il avait conservée d’elle, accoudée à la margelle d’un puits ; celle qui aime la fantaisie et agrémente les robes d’une lavallière au corsage, le bas d’une jupe d’un galon ou d’une broderie discrète ; celle qui réalisa qu’elle avait épousé son beau-frère, le fils du deuxième mari de sa mère, quand cette dernière se remaria ; celle qui quitta la ferme parentale, à vingt ans, enceinte du commis, un beau garçon brun, orphelin, au visage lumineux.

A propos de Marlen Sauvage

Journaliste longtemps. Puis dans l'édition. Puis animatrice d'ateliers après une formation Elisabeth Bing et DUAAE à Montpellier. J'anime encore quelques stages d'écriture, ai contribué aléatoirement au site des Cosaques des frontières, publié quelques livres – fictions et biofictions – participé à plusieurs ouvrages collectifs. Mon blog les ateliers du déluge.

12 commentaires à propos de “Celle(s) qui…”

  1. J’aime bien aussi réviser l’histoire avec ta celle qui naît après la Terreur… Beaucoup de dates, j’aime cette particularité, precision infime qui leur donne posture. Merci

    • Anne Il y avait force détails et je n’ai pas voulu tout mettre pour ne pas « lasser » le lecteur ! Mais du coup, ta remarque me fait réviser ma première idée…

  2. on les voit toutes d’un coup, comme ça, assemblées là, levant le regard vers nous… cette marée de femmes… et ça remonte à loin et ça nous remue forcément parce qu’elles sont si réelles !

    • Françoise… J’ai puisé dans la généalogie (ma première passion !) et toutes sont réelles, oui… impression de ne pas avoir écrit vraiment, ce qui me chagrine…

    • Marée de femmes – marée montante, ouiii, Françoise ! c’est exactement ce que je ressens à la lecture de ces généalogies la vôtre Marlen, avec cette spécificité de dates, de numéros, cette photo, tout ça attestant… j’en lis une et puis une autre – toutes différentes… et la marée n’en finit pas de monter !

  3. d’abord on ne se lasse pas, oh non pas du tout ! J’aime beaucoup que le dernier mot soit lumineux…

  4. Le lien, pour rappel, comme dans le premier texte.
    Le texte, son approche historique, par les dates, le noms de ‘grands’ comme Napoléon, les événements comme la Révolution de 1830 donnant une touche personnelle tout en rappelant le lecteur dans ce qui fait le commun de nous tous.
    Et ‘celle qui n’est pas née à Lugny entre 1813 et 1822, ni à Nochize’ qui m’intrigue. D’où vient-elle alors ?
    Merci.

    • Annick, justement je crois n’avoir pas retrouvé d’où elle venait celle qui n’est pas née à Lugny ni à Nochize… Et quant à l’autre dont tu parles, j’ai commencé une bio fiction tellement elle me plaît celle qui a vécu sous tant de périodes historiques. Merci de tes commentaires. Bises